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Comme les poètes enfin, George Sand est revenue sans cesse à la célébration de quelques grands thèmes qui sont les sujets éternels de toute poésie. Le premier est l’amour. George Sand a cru sincèrement à la toute-puissance et à la souveraineté de l’amour. Ç’a été la cause de toutes ses erreurs dans la doctrine des mœurs et c’est en quoi consiste l’immoralité qu’il est pourtant impossible de ne pas signaler dans une partie de son œuvre, Car dans le conflit entre l’institution sociale et la passion, elle n’hésite pas : elle tient pour la passion. Mais que cet amour cesse d’être en conflit avec le devoir, qu’il devienne lui-même une sorte de devoir par sa noblesse, son élévation, sa pureté, sa fidélité, George Sand sait, pour nous en donner le goût et nous en inspirer le respect, trouver des accens d’une véritable éloquence. C’est ensuite la Nature. Et par ce mot n’entendons pas seulement les arbres et les prairies, le ciel et les eaux. George Sand embrasse dans une sympathie universelle l’ensemble de la création, toutes les choses comme tous les êtres. « J’aime tout ce qui caractérise un milieu, le roulement des voitures et le bruit des ouvriers à Paris, les cris de mille oiseaux à la campagne, le mouvement des embarcations sur les fleuves. J’aime aussi le silence absolu, profond, et, en résumé, j’aime tout ce qui est autour de moi, n’importe où je suis. » Elle aime à sentir le frémissement, la palpitation de la vie. Car cette vie est divine. George Sand y découvre partout l’âme de bonté qui l’anime. Et cette émotion religieuse dont elle est tout imprégnée est encore d’essence poétique.

Il n’est pas jusqu’à la langue de George Sand qui ne complète l’illusion. Certes il s’en faut que le choix des mots y soit toujours irréprochable. L’exemple de George Sand est celui qu’on invoque toujours quand on veut établir que, pour bien écrire en français, il n’est pas nécessaire d’avoir étudié les langues anciennes. Mais, sans compter que George Sand savait un peu de latin, ce que lui en avait enseigné le pédagogue Deschartres, cet exemple servirait plutôt à la démonstration contraire, attendu que, chez George Sand le vocabulaire est souvent incertain, l’expression manque de précision ou de relief. Mais elle a le don de l’image et ses images sont d’une adorable fraîcheur, parce qu’ayant toujours conservé ce pouvoir si rare de s’étonner, elle n’a cessé de promener sur les choses un regard de jeunesse. Elle a le mouvement qui entraine, le rythme qui berce ; elle déroule avec quelque lenteur, mais sans embarras, cette période qui est la vraie phrase française. On pourrait dire, de son style, ce qu’elle dit du caractère de l’un de ses héros, « qu’il ne peut se comparer qu’à la