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soit qu’elles portent sur la vie intime d’un écrivain célèbre, ou sur celle d’un des obscurs figurans de la comédie humaine. Et puisque apparemment les honneurs qu’on prépare s’adressent au génie du conteur qui, avec Balzac, a creusé le plus large sillon dans le champ du roman contemporain, ignorons tout ce qui n’est pas son rêve d’artiste. Depuis qu’elle a cessé de tirer de son intarissable imagination des récits tantôt passionnés et déclamatoires, tantôt apaisés et rêveurs, il n’est que juste de le remarquer, George Sand nous est devenue un peu lointaine. Heureux les écrivains qui ont condensé leur effort dans une œuvre maîtresse à laquelle il faut sans cesse revenir ! Nous sommes obligés d’aller chercher George Sand à travers des séries de volumes où s’est étalée et parfois diluée sa grâce nonchalante. Son image s’est déjà enfoncée dans le passé, estompée dans une sorte de brume. Ajoutons que les générations nouvelles ne sont pas de grandes liseuses : elles ne remontent guère dans l’histoire du roman contemporain au-delà de Flaubert. Pour elles, George Sand fait déjà partie des classiques : c’est une mauvaise note. Cette grand’mère prend à leurs yeux des airs d’ancêtre. Raison de plus pour nous occuper d’elle pieusement. Donnons-nous la joie de voir à l’œuvre une des organisations les plus richement douées pour la production littéraire, et faisons le compte des richesses dont, grâce à elle, s’est accrue notre littérature.

Si l’on évoque autour de la figure de George Sand celle des écrivains qui, vers le temps de ses débuts, déterminaient, suivant leur conception particulière, la forme encore indécise du roman : un Balzac inventoriant comme un naturaliste les variétés de la faune humaine, un Stendhal s’acquittant des devoirs de sa profession d’ « observateur du cœur humain, » un Mérimée embusquant au coin de chacun de ses récits son imperturbable ironie, on constate aussitôt que George Sand n’est pas de leur famille. On ne la comparerait pas davantage à un Flaubert geignant sur ses phrases, non plus qu’aux Goncourt s’essoufflant à la poursuite de l’épithète rare. Cette merveilleuse improvisatrice nous ferait bien plutôt songer à ce que pouvaient être nos « vieux romanciers » conteurs de prouesses chevaleresques et de légendes naïves, ou, plus loin encore, les aèdes de la Grèce antique. Il y a, dans la jeunesse des peuples, des hommes qui vont vers les foules charmées et les tiennent attentives aux récits qu’ils débitent en paroles nombreuses. Ces récits, ils ne sauraient dire s’ils les inventent au moment qu’ils les improvisent, ou s’ils ne font que s’en souvenir ; car leur esprit en est tout enchanté. Et ils ne savent dans quelle mesure la