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Aucune fleur ne peut désennuyer les mortes,
Leur bonheur est cessé.
Celui qui les aimait n’a pas rouvert la porte
Où elles ont passé.

Il faudrait, pour qu’un peu de plaisir les rassure,
Que le plus cher amant
Leur dise : Vois, je viens pour baiser ta chaussure
Et tes deux pieds charmans.

Qu’il leur dise : « Voyez, votre chambre creusée
Plus qu’une autre me plaît.
Ce lit étroit, ce plafond bas, ces mains usées
Sont ce que je voulais.

« Votre doux, votre long et consentant silence,
Je l’ai tant désiré !
Maintenant que tu dors, je sais ce que tu penses
Cœur qui fut trop serré.

« Ah ! comme tu voulais toujours, petite amante,
Parler et blasphémer ;
Tu pensais que l’orgueil exige que l’on mente
Dans les instans d’aimer.

« Comme tu me plais mieux avec ton noir visage
Et ton cœur arrêté,
J’enlace enfin, cher être indéfiniment sage,
Ce que tu as été.

« Le dévouement d’amour, si plaisant et si tendre,
Tant que ton corps fut clair,
Je te l’offre ce soir, où tu ne peux prétendre
A nul amour de chair.

« Mais, ah ! quelle rumeur trouble encor notre somme,
Et rend mon cœur jaloux ?
J’entends, dans l’ombre affreuse et glissante où nous sommes,
Les dieux parler de vous… »

CSSE MATHIEU DE NOAILLES.