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(estimates ou claims) et aux paris ouverts, plus suggestifs encore. La même maison se charge de ce qui est licite et de ce qui ne l’est pas : de faire respecter la loi, et de la tourner ou de la violer ; elle solde indifféremment les dépenses permises et les dépenses interdites ; indifféremment elle pratique le canvass, la visite à domicile, — et le cooping ou le bottling, la « mise en cage, » la « mise en bouteille » des électeurs récalcitrans ; elle prêche indifféremment le straight ticket, le vote en bloc pour la liste entière, le split ticket, le « bulletin fendu, » le vote pour une partie seulement de la liste, ou le « vote muet, » le dumb vote, le stay at home vote, le « vote qui garde la maison, » l’abstention.

Par ses bandes ou gangs, par ses clubs, par mille sociétés qui guettent l’homme à tous les détours et à toutes les haltes de sa vie, la Machine aspire et pompe la matière électorale, que grossit incessamment, aux États-Unis, une continuelle alluvion ; elle l’amène au leader de quartier, qui l’élève vers les henchmen, les boys, le boss : d’un geste, grâce aux fils qu’ils tiennent rassemblés, les wire-pullers, les tireurs de ficelles, déclenchent et mettent en marche cette machine, d’une incalculable puissance et d’une inlassable docilité, qui n’est qu’eux, et qui est tout. Peut-être une association rivale, un autre parti, d’autres « tireurs de ficelles, » lui opposeront-ils une autre machine, mais ce sera encore une machine, ce sera toujours la Machine ; et il pourra arriver que, quoique adverses, les deux machines coopèrent de toute leur force contre l’ennemi commun : l’électeur qui leur échappe ou le candidat qui prétend se passer d’elles.

Sous un régime comme celui-là, ce sont en effet de mauvais citoyens que les citoyens indépendans. On les considère peu et on les traite mal : professeurs, doctrinaires, théoriciens, contemplateurs d’étoiles, « pêcheurs de lune ; » ou bien kickers, « sauvages, » rebelles à toute discipline et à tout ordre ; sorte de malfaiteurs publics ! Le devoir civique, c’est d’être « conforme, » d’être « régulier, » d’être « harmonieux, » et de voler toujours avec son parti. Aussi bien la politique n’est-elle pas chose « vulgaire » dont le better element, dont les gens distingués doivent s’écarter avec soin ? Il faut laisser cela aux gens qui ne sont point rebutés d’une si basse besogne et qui n’ont d’ailleurs rien de mieux à faire. Car la politique, qu’est-ce au fond, sinon une querelle, un pugilat pour les dépouilles, la lutte des ins et des outs, de ceux qui sont en place et de ceux qui n’y sont pas ? Bon