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une société secrète, et, pour tout dire d’un mot, une franc-maçonnerie, avec des rites et une hiérarchie « à nomenclature indienne qui devait mettre en relief son caractère éminemment américain : elle était partagée en treize tribus, en nombre égal à celui des États qui formèrent l’Union, et portant chacune un nom d’animal : tigre, renard, loup, aigle, etc. Le comité directeur de la société se composait de treize sachems (chefs) dont un grand sachem ou « grand-père ; » un scagamore avait la charge de maître des cérémonies, et un wiskinskie s’acquittait des fonctions plus modestes de portier. Les membres s’appelaient « braves ; » le local où ils se réunissaient portait le nom de wigwam (hutte, en indien). L’année était partagée en saisons des fleurs, des fruits, de la chasse, et des neiges, et chaque saison divisée en lunes. »

Jeux innocens et, comme à l’ordinaire, appareil un peu puéril d’une association à ses débuts, patriotique et philanthropique sans hypocrisie ; mais tout de suite, dès 1800, la société de Tammany commença à s’occuper de politique, et elle commença à s’en occuper par la fraude : à l’intention des candidats républicains-démocrates qu’elle soutenait, elle se chargea de procurer la franchise électorale à ceux qui ne la possédaient pas, en faisant transférer à une seule personne les titres de propriété de plusieurs jusqu’à concurrence de ceux exigés légalement Tout cela resta cependant couvert d’apparences de respectabilité et d’austérité puritaine, tant que la société se recruta parmi la bourgeoisie moyenne et la petite bourgeoisie ; mais, plus tard, quand les élections furent décidément sa principale affaire, la Tammany dut traîner après elle une « queue, » toujours plus longue, « de gens qui, sans avoir été admis en qualité de membres de la société secrète, la suivaient dans les combats électoraux… appendice politique qui devint bientôt une excroissance gangreneuse[1]. »

La populace, le mob element, envahit et inonda Tammany Hall. Groupés en « clubs » et en « bandes, » gangs, ou versés dans les « compagnies libres de pompiers, » les contingens de la Tammany furent ensuite réunis en associations d’arrondissement uniformes pour chacune des circonscriptions électorales de la cité. Ces associations d’arrondissement relevaient d’un comité

  1. Ostrogorski, ouvrage cité, II, 146.