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délicatesse, et peut-être leur eût-on plutôt demandé de n’en pas avoir trop. En tout cas, l’esprit public s’accoutuma bien vite à ce qu’ils n’en eussent guère : « Ce qui aurait choqué toute la société, il y a quelques années, écrivait Calhoun, maintenant on s’en aperçoit à peine. » Ces professionnels de la politique eurent, en peu de temps, fait contracter à la République américaine non seulement de mauvaises manières, mais de mauvaises mœurs. Non seulement les réunions publiques furent « faites » et, si l’on ose le dire, « truquées, » — comme chez nous ; — non seulement, — comme chez nous, — on y discuta « à coups de poing, » et, — comme chez nous encore, — non seulement on ne se fatigua pas à poursuivre la parfaite correction des listes électorales, estimant sans doute, ainsi qu’il le fut confessé à la tribune française en 1898, que « tout est bon qui réussit, » injures, calomnies, chantage, falsifications et fraudes ; mais il y eut pis, car il peut y avoir pis ! et l’État fut mis en coupe réglée.

Les associations politiques, ou, pour réserver toutes exceptions honorables, des associations politiques se constituèrent à l’effet d’exploiter le riche et tentant domaine de l’Union. Le système entier, constitutionnel, législatif et administratif, se prêtait du reste, malheureusement, à ces entreprises blâmables ; et une pratique défectueuse aggravait chaque jour l’inconvénient du système. En haut, « l’activité du Congrès se concentrait graduellement dans de nombreux comités secrets qui préparaient toute la besogne des séances publiques au point de faire d’elles une simple parade. » Quant au Sénat, on sait que la Constitution fédérale lui attribue une part importante dans la nomination des fonctionnaires, et que son rôle, déjà illogique en ce point, est rendu d’autant plus dangereux par le manque de publicité[1]. Toute la législation et toutes les nominations tombaient de la sorte aux mains non pas même du Congrès et du Sénat, mais de comités du Congrès et du Sénat, aux mains de certains représentans et de certains sénateurs, dont le Président ne pouvait que contresigner les choix : ce que fit, entre autres, Lincoln, et contre quoi Hayes et M. Cleveland tentèrent, à peu près en vain, de s’insurger.

  1. Ostrogorski, ouvrage cité, II, 125-126. — Cf. James Bryce, la République américaine, traduction française, t. III ; James H. Hopkins, A History of political parties in the United States ; John S. Hittell, Reform or Revolution ? notamment, ch. III, the Spoils, p. 94-181.