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Viennent les élections de 1885. On pourchasse Cowen, on le harcèle, on le traque. Il fait tête. En vain on espère l’accabler sous une grêle de questions. A toutes, invariablement, imperturbablement, il oppose les principes, comme s’il ne s’agissait en cette occasion, — et il ne s’agit en effet, — ni de Joseph Cowen, ni de tel ou tel, mais de quelque chose de plus haut ou de plus général, des rapports du député et des électeurs, des obligations de parti, des organisations politiques. « Je résumerai, dit-il, en une ou deux phrases nos divergences : moi, je mets au premier plan les principes libéraux ; eux, le parti libéral ; à moi, ce sont les mesures qui importent ; à eux, ce sont les personnes. Voilà où est toute la querelle. » Et ailleurs : « Le parti est simplement un moyen pour arriver à une fin, ce n’est pas la fin. Des leaders sont bons à leur place, mais aucun d’eux n’est infaillible, et je ne remettrai mon jugement sur des questions de principes à aucun homme, si puissant qu’il soit, ni à aucun groupe d’hommes, si nombreux qu’ils soient. »

En attendant, « la querelle, » comme disait Cowen, s’élargissait et s’étendait : elle devenait la querelle de tous les comités contre tous les indépendans ; elle s’abaissait et s’envenimait ou s’embourbait aussi : des sommets où Joseph Cowen se réfugiait dans la pure doctrine, on s’efforçait de le précipiter au ruisseau ; on l’attaquait dans les rues, on lui jetait de la boue et des pierres : les chefs mêmes du Caucus en étaient désolés et honteux ; mais ils avaient démuselé la bête, et ne pouvaient plus l’empêcher de mordre. Au scrutin, malgré tout, Cowen arriva en tête de liste, mais trop de voix lui manquaient, trop de défections l’atteignaient au cœur : à la dissolution de 1886, il se retira. Et, pour justifier sa retraite, il prononça le mot décisif, le mot définitif : entre son parti et sa conscience, revendiquant le droit de préférer sa conscience, il s’écriait : « Cette conduite à mon égard (la persécution mesquine et tracassière du Caucus) ne me préoccupait pas beaucoup, tant qu’elle était celle d’un groupe de zélateurs bilieux du parti. Mais, aux dernières élections, elle a été approuvée par plus de sept mille électeurs qui ont voté contre moi et dont quelques-uns ont poussé leur opposition jusqu’à commettre contre ma personne des actes de violence que je n’ai certes pas oubliés, ni (je le crains) pardonnes. Après une pareille démonstration, il n’y avait pas, pour un homme d’honneur, d’autre parti à prendre que la retraite. Je suis prêt à faire mon