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par les chefs du Caucus fut relevé dans les réunions de quartiers par de braves gens qui pensaient qu’il s’agissait en effet du triomphe de la cause populaire et tonnaient à qui mieux mieux contre Forster. Sa ferme attitude lui valut de nombreuses sympathies dans le pays ; des hommes politiques de tous les partis le félicitaient et le remerciaient de combattre le bon combat. » Gladstone offrit son arbitrage, que, respectueusement, Forster déclina, parce qu’il n’y avait pas là, suivant lui, matière à un arbitrage. A la fin, pourtant, le Caucus et lui, transigèrent. On remplaça, dans le texte du § 15 en litige, les termes impératifs : sera exigé, par les termes facultatifs : pourra être exigé ; et Forster, en retour, « consentit à être adopté par l’Association. A la vérité, la concession faite par le Caucus n’était pas bien grande, et ce fut plutôt Forster qui céda. Toute sa fermeté s’était épuisée dans les protestations solennelles et les nobles déclarations[1]. »

Joseph Cowen ne céda pas, mais il fut brisé. Cowen était un radical, un vrai radical, s’il en fut, et même un peu mieux, un radical-socialiste, ou socialisant. Industriel, propriétaire d’usines, il avait introduit chez lui et autour de lui l’usage des sociétés coopératives, des bibliothèques ouvrières, des cours, des conférences ; rien ne se faisait pour le bien-être moral et matériel du peuple qu’il n’en fût par son argent et qu’il n’y fût de sa personne. Newcastle l’avait envoyé à la Chambre, après vingt-cinq ans de cette vie toute au travail et toute à tous, en 1874. Il s’y était bientôt révélé « comme un des plus grands orateurs que l’Angleterre contemporaine ait produits. Mais, en même temps, il se montra incapable de suivre le mot d’ordre d’un parti ou de qui que ce fût. Quand les conservateurs lui semblaient avoir tort, il leur donnait tort ; quand ils lui paraissaient être dans la bonne voie, il leur donnait raison. Que, d’un côté de la Chambre, on ait toujours raison et, de l’autre côté, toujours tort, cela lui apparaissait comme une convention mensongère et souvent néfaste. » De même, quoique radical, Cowen ne donnait pas toujours raison aux libéraux, et il leur donnait tort quand ils avaient tort. Il n’approuvait, par exemple, ni la politique irlandaise ni la politique égyptienne de Gladstone, alors que le gros du parti gardait le silence et emboîtait le pas.

  1. Ostrogorski, ouvrage cité, I, 186-188.