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envahissante, — et il est de sa nature de le devenir, on ne lui fait que difficilement sa part, — déforme et fausse le régime représentatif, le mine, le vide, n’en laisse que la façade ou l’enveloppe. Et c’est ainsi que le Caucus a rongé, en Angleterre même, le régime parlementaire. Il n’est pour ainsi dire pas un homme, quels que soient son talent et ses services, qui puisse se vanter d’échapper à ses tentatives, — un peu de plus, j’écrivais : à ses tentacules. L’homme politique, saisi et ligotté par le Caucus, doit alors se résoudre à l’un de ces trois partis : ou se soumettre au Comité, ou le briser, ou se laisser briser par lui. On en sait d’illustres exemples : il y en a deux qui disent tout, celui de W. E. Forster à Bradford et celui de Joseph Cowen à Newcastle.

« Forster représentait Bradford au Parlement depuis déjà dix-huit ans. Porté à la Chambre par sa notoriété locale, il s’y fit en peu de temps une grande place, et passa bientôt au premier rang des hommes d’Etat du parti libéral. L’éclat de sa carrière politique, rejaillissant sur la ville qu’il représentait, fortifia les sentimens de dévouement et d’affection qui l’unissaient du premier jour à ses électeurs. Mais, depuis quelque temps, une petite fraction du corps électoral, animée de passions religieuses, avait voué à Forster une haine implacable. Elle ne lui pardonnait pas le rôle qu’il avait joué, comme ministre de l’Instruction publique du premier cabinet Gladstone (1868-1874), dans la création d’un système d’enseignement populaire. » Néanmoins, après la retraite de Gladstone, Forster restait, à côté du nouveau chef du parti, lord Hartington, « l’homme d’Etat le plus marquant du parti libéral. »

Sur ces entrefaites, Bradford se donna un caucus à l’instar de Birmingham, et ses Trois Cents « incorporèrent, en 1878, dans les statuts de leur association toute la doctrine, écrite et non écrite, » de la Mecque anglaise où venait de se révéler l’islamisme politique de M. Chamberlain. Le § 15 de ces statuts portait que : « il serait exigé de quiconque proposait un candidat pour représenter la ville au Parlement qu’il assurât au comité général de l’Association, — aux Trois Cents, — après en avoir obtenu le consentement dudit candidat, — que celui-ci se soumettrait aux décisions de l’Association. » Naturellement, W. E. Forster commença par s’y refuser : « Je ne peux pas, répondit-il, reconnaître une règle qui, ne fût-ce qu’en théorie, permet à une