Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/904

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seul coup il se séparât d’elle, et du parti libéral, et de M. Gladstone, sur la question du home rule irlandais, en 1886, M. Chamberlain aurait affermi, jusqu’à en faire ce qu’on a appelé le Caucus de Birmingham, le dessin de la machine qu’il avait imaginée. Il en reprit un à un et en consolida les principaux rouages : la section de vote, décomposable par rues, elles-mêmes décomposables en îlots de maisons ; porte grande ouverte du four où venaient, sans autre condition que d’adhérer au parti, s’engouffrer tous ceux qui voulaient, et le plus possible ; au-dessus, l’association du quartier ou de la circonscription élue par tous les membres des sections ; au-dessus encore, le Comité exécutif central, élu à son tour par les associations des quartiers ; au-dessus enfin, le Comité général, — la Centaine, — composé de délégués de tous les quartiers ainsi que des présidens et secrétaires des comités de quartier ; tout à fait au sommet, dans la gloire, le Sous-Comité directeur, les Onze, et, dans l’ombre, l’Unique. Entre l’Unique et les Onze, entre l’ombre et la gloire, dans la discrétion propice du demi-jour, l’âme de la machine, le secrétaire général, nommé par le comité et travaillant sous son inspiration. Ce qu’il est pour le corps entier de l’Association, le secrétaire de quartier l’est pour chacune des fractions qui le forment : ordinairement artisan ou petit employé, il est censé élu par la réunion de quartier, et il l’est, en effet, dans la forme ; mais, au fond, il est « suggéré » à la réunion par le Comité directeur ; ce n’est qu’un fil de plus à l’un des doigts du « tireur de ficelles. » Pourtant, secrétaire général et secrétaires de quartier, reliés celui-là à ceux-ci, sont ici comme un appareil de circulation, par où, du dehors au dedans, et du dedans au dehors, de bas en haut et de haut en bas, court la force et coule la vie.

Mais cette vie, comme toute vie, entraîne ses misères, et, comme toute force, cette force engendre ses servitudes. Ici, la servitude est réciproque : du dehors au dedans, et du dedans au dehors, de bas en haut et de haut en bas : double chaîne. L’électeur appartient servilement au comité ; mais le député, qui se croit son maître, ne lui appartient guère moins : à l’un et à l’autre, la voix tranchante des Onze ou le chœur grondant des Six Cents signifie brutalement : « Votez comme on vous le dit ! Si vous ne le faites pas, nous cassons le fil, et vous tombez à plat, pauvre pantin que vous êtes ! » C’est ainsi que l’omnipotence tyrannique des comités, là où l’association politique devient