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Carlton d’une manière d’autant plus forte que le lien était invisible. » Ainsi également du cercle libéral, le Reform. « Dans l’un et dans l’autre club, les fils étaient tenus par les whips des partis. Là, ils avaient sous la main tout leur troupeau parlementaire, et, de là aussi, ils pouvaient travailler la province… Les aspirans aux honneurs parlementaires faisaient généralement partie du Carlton ou du Reform club, et les whips (littéralement les fouets : peut-être ne saurait-on mieux traduire que par « sergens recruteurs » ou « fourriers ; » en prenant la hiérarchie plus haut, si le leader est le généralissime, le whip est le chef d’état-major, spécialement chargé de la mobilisation), les whips donc les connaissaient tous, leurs ambitions de même que leurs ressources. Les gens de province qui manquaient de candidats pouvaient les embaucher à Londres, dans les clubs, par l’entremise des whips[1]. » A côté du whip, ou au-dessous, en permanence au club, était placé « l’agent général du parti, » en correspondance continuelle avec des « agens » répartis dans tout le royaume. Personnage important, qui seul ou presque seul était censé connaître à chaque instant l’état de l’opinion et sans l’avis duquel un premier ministre n’eût jamais osé courir le risque d’une dissolution du Parlement ; véritable oracle, dont les moindres paroles étaient, aux heures de crises, attendues comme des révélations.

Avec le whip et « l’agent général, » le Carlton club et le Reform club étaient, on le voit, plus que des « cercles » ordinaires ; par les facilités de vie et de société qu’ils offraient à leurs membres, ils étaient, d’autre part, plus que de simples « bureaux ; » il y avait à la fois plus d’autorité et plus de liberté : on y était à la fois dans le camp de son parti et chez soi. Mais le club, malgré ses avantages, n’était pas la forme parfaite de l’association politique ; il était loin d’en être la forme la plus développée : aristocratique par essence, ou bourgeois, ce qui est encore une aristocratie, et fermé par définition, parlementaire et censitaire, il en devait être une forme insuffisante au fur et à mesure que le su tirage étendu atteindrait des couches de peuple plus profondes et plus larges. Alors, il faudrait autre chose, et ce quelque chose apparaît déjà, à l’état embryonnaire, aux alentours de 1830.

C’est l’association politique proprement dite. On ne l’ignorait

  1. Ostrogorski, la Démocratie et l’organisation des partis politiques, I, 135.