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floraison. On y mangeait bien, on y buvait frais, on y parlait fort. A mesure que se dessinèrent et se cristallisèrent les partis dans le Parlement, les clubs, eux aussi, furent d’un des deux partis parlementaires, libéraux ou conservateurs : tel café fut whig, et tel autre tory. Une taverne abritait l’opposition ; sa voisine et sa concurrente ne recevait que les ministériels. Ainsi, dans Saint-James Street, le fameux cabaret de l’Arbre à cacao, où les torys, en l’honneur du Cabinet, s’offraient mutuellement des agapes dont l’historien Gibbon, chaud ministériel en ce temps-là, nous a laissé la peu édifiante description. Mais, tel quel et plutôt campé que logé, non pas même en garni, au cabaret et, comme dirait l’argot parisien, « sur le zinc, » ce n’était pas encore le club marchand et bourgeois, où un homme bien posé se rend ostensiblement, après ses affaires, pour se poser mieux encore, le club cossu et sérieux, ayant pignon sur rue, du gros commerçant de la Cité, « ayant sur le parvis boutique ; » on y était admis sans être ballotté, presque sans être présenté, sans payer de cotisation ; s’il faut l’avouer, il y avait dans cette politique d’estaminet, dans cette vie politique à l’estaminet, quelque pointe de « bohème, » et comme le piment d’une demi-débauche : cela manquait à la fois de confort et de respectabilité, et cela n’était par conséquent qu’imparfaitement et insuffisamment anglais.

Les véritables clubs, qui, eux, sont tout à fait anglais, les clubs richement installés dans leurs immeubles et dans leurs meubles, dont la porte sévèrement gardée ne s’ouvre que sur présentation personnelle, sur admission formelle, et moyennant une grosse cotisation, les clubs de haut ton et de grand style politique et social, ne datent que du XIXe siècle : le Carlton club tory, de 1831 ; le Reform club whig, de 1836. Ils furent vite ce que l’on voulait qu’ils fussent : des centres non seulement de réunion amicale ou mondaine, mais de ralliement et d’action électorale. « Les membres du Parlement, de l’une et de l’autre Chambre, depuis les leaders jusqu’aux membres les plus obscurs, se retrouvaient au Carlton, s’y concertaient, donnaient ou recevaient le mot d’ordre. Les leaders locaux, les notables de province, qui venaient à Londres et qui voulaient voir les grands hommes du parti, étaient sûrs de les trouver au Carlton, et là ils pouvaient les approcher sur le pied d’égalité ou même d’intimité. Les relations qui naissaient ainsi et les influences qui en résultaient rattachaient les circonscriptions électorales au