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LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE.

quatuors vocaux. « Tous de haut style, tous d’un mérite supérieur, » affirme avec raison M. Expert. Mais que ce mérite est donc uniforme, et monotone ce style ! Italiam ! Italiam ! Que dis-je, c’est après l’Allemagne elle-même qu’on soupire ici. Toute musique religieuse, non seulement celle d’un Palestrina, mais celle d’un Schütz, et plus tard celle d’un Haendel ou d’un Bach, paraît admirable de souplesse, de liberté surtout, auprès de cette inflexible musique. Elle n’a pour forme que la carrure, une carrure invariable et comme éternelle. Un psaume de Goudimel, — un quelconque parmi les cent cinquante, — consiste essentiellement en quatre phrases mélodiques, mesurées à quatre temps, harmonisées à quatre voix. C’est même plus qu’un carré, c’est un cube, un bloc sonore ; il se soulève parfois, puis il retombe, et sous sa chute nous craignons toujours d’être écrasés.

Mais quand il se soulève, la force ou l’esprit qui l’anime le porte très haut et le soutient. Cet art est « protestant » au sens exact du mot. Tantôt par une endurance opiniâtre, tantôt par les emportemens d’une éloquence lyrique, il ne cesse de protester. Parmi les psaumes de Goudimel, les uns sont beaux d’une impassible beauté ; les autres le sont d’une beauté passionnée et frémissante. Ils dénoncent tous la persécution et la violence ; tous, ils la supportent et la défient. Ils sont les hymnes hardis, les cantiques hautains d’une époque et d’une foi qui ne pouvait laisser aucune part à la méditation et au rêve pieux. Souvent un souffle guerrier les inspire. Ils ressemblent à des forteresses plus qu’à des églises ; ils ont des murailles et des créneaux ; on ne voit pas d’autel, encore moins de tabernacle, en eux. Mais dans les temples nus qu’ils défendent, ils donnent de fières, d’héroïques leçons. Au point de vue de l’éthos ou du sentiment confessionnel, les psaumes de Goudimel pourraient bien être le chef-d’œuvre absolu du protestantisme : j’entends qu’ils me paraissent, non pas certes plus beaux, mais plus purs de tout élément catholique que les chefs-d’œuvre contemporains ou postérieurs des grands luthériens allemands. Cet art offre encore un autre caractère. Il ne proteste pas seulement : il atteste, il confesse, il est témoin et martyr. Et voilà pourquoi l’œuvre de Goudimel est digne de vivre parmi les formes, ou, comme disent les philosophes, parmi les « catégories » les plus austères, mais les plus nobles, de l’idéal religieux.

L’idéal amoureux alors n’a pas manqué non plus de grands