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grand fleuve qui ne devait répandre toute sa magnificence et toute sa fécondité que sur le sol italien.

On doute encore si Goudimel était huguenot ou catholique. En tout cas, c’est comme huguenot qu’il fut jeté dans le Rhône, à Lyon, la nuit de la Saint-Barthélémy. Et c’est par des œuvres d’esprit ou de sentiment huguenot qu’il survit. « Pour les initiés, dit très bien M. Expert, pour ceux qui ont vécu dans l’intimité de ces hautes figures qu’on appelle Jehan Calvin, Théodore de Bèze, Gaspard de Coligny, Bernard Palissy, Ambroise Paré, François de la Noue, Agrippa d’Aubigné, orgueil de la Réforme française ; pour ceux qui ont étudié et pénétré l’époque agitée, violente, mais féconde en grands caractères et en illustres sacrifices, des guerres religieuses ; pour les psychologues qui scrutent les consciences et approfondissent les faits sociaux, Claude Goudimel apparaîtra comme l’aède huguenot par excellence. » Le mot est juste ; il dit à la fois ce qu’est le génie du musicien et ce qui lui manque. Il lui manque précisément d’être catholique et d’être italien ; il lui manque le charme, l’onction, non pas même le mysticisme, mais le mystère, mais la piété, la chaleur, l’amour, ce genre enfin ou cet ordre de beauté qui nous touche, nous pénètre, nous attendrit dans les œuvres de l’école romaine et dans celles surtout de Palestrina. Non pas que chez Goudimel cela manque toujours. Il a des rémissions ou des relâches exquises, par exemple le psaume n° 122 :


Or en tes porches entreront
Nos pieds, et séjour y feront,
Jérusalem la bien dressée.


La musique ici respire un espoir, un désir céleste de Sion. Sous l’archaïsme de la forme le sentiment est presque moderne. Si pures et suaves sont les modulations par accords parfaits, si gracieuses les évolutions des voix au-dessous de la mélodie, qu’on se prend à songer — de très loin encore — à telle ou telle page sacrée de Gounod.

Mais il n’y a dans ce psaume et dans quelques autres qui lui ressemblent qu’une exception, un hasard et comme une surprise de tendresse. L’éthos général de cet art n’est que force et même rigueur. Le Psautier de Marot et Goudimel est terrible à lire en entier. Songez qu’avec les commandemens de Dieu et le cantique final il ne comprend pas moins de cent cinquante-deux