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c’est un Ould-Faradji qui est, en ce moment, gouverneur de Fez-el-Djedid. Les Djamaï, les Kerdoudi, les Mesfioui, les Gharnit, les Ben-Driss, les Bouhacherin et les Ben-Sliman se sont distingués parmi les secrétaires du makhzen, et ce sont eux qui ont fourni les principaux vizirs depuis le règne de Moulay-abd-er-Rahman.


VI

Dans ces grandes familles se conservent précieusement les traditions politiques et les procédés de gouvernement qui ont maintenu jusqu’à ce jour l’autorité makhzénienne ; car la politique makhzen est chose trop délicate et trop compliquée pour être le fait du grand nombre. En réalité, l’empire du Maroc est une fédération vague, englobant un grand nombre de tribus ou de fractions, parfois minuscules. Chacun de ces organismes possède sa constitution propre ; chacun se montre, avant tout, jaloux de son indépendance et souhaite, afin de la conserver, le maintien d’une anarchie propice. Il n’existe que deux liens susceptibles de réunir entre eux ces atomes divergens et de provoquer, par leur réunion, la constitution d’un État : un lien religieux, né des croyances musulmanes spéciales au Maghreb, qui fait accepter aux tribus l’influence des zaouïas, l’action collective des chorfa, des marabouts et des oulémas, et l’autorité suprême du chérif couronné ; un lien politique, créé par le développement historique du makhzen, qui superpose un pouvoir central à l’éparpillement des groupes locaux. L’utilisation prudente de ce double lien permet le gouvernement du Maroc. Mais la force centrifuge y est si puissante que le gouvernement doit se borner au maniement des organes essentiels, éviter toute intervention directe dans les affaires des tribus, et faire de son administration une véritable diplomatie.

Si les tribus avaient un sentiment quelconque de cohésion, et parvenaient à s’entendre entre elles, le makhzen cesserait d’exister par le fait même : le fondement de la politique makhzen consiste donc à les diviser, à éterniser entre elles les querelles héréditaires et à exercer, dans chacune d’elles, le maximum d’autorité compatible avec les circonstances. Le makhzen écrase et pressure les faibles ; il garde certains égards vis-à-vis de ceux qui sont capables de résistance : il néglige prudemment les forts. Les