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LES ÉPOQUES DE LA MUSIQUE.

succès de la prosodie nouvelle, ou renouvelée, ne fut pas seulement officiel. « Les mètres des anciens, le dactyle, le spondée, l’iambe, l’anapeste furent naturalisés français[1] » et partout l’usage et le goût des vers mesurés se répandit.

Il ne pouvait durer longtemps, le principe de la métrique ancienne étant en opposition avec le génie même de la poésie française. De telles choses, disait du Bellay, « ne se font pas par la nature des langues. » Il disait mal : c’est par cette nature seulement et jamais contre elle, que de telles choses peuvent se faire. La suite de l’évolution de notre poésie l’a prouvé. La tentative de Baïf n’en demeure pas moins digne de mémoire. Elle forme un épisode curieux de notre histoire littéraire et musicale. Elle atteste en particulier le crédit et l’influence que la musique possédait alors, le respect et l’amour que lui témoignaient les poètes ; car c’est pour la mieux servir, pour lui ressembler et lui donner davantage, que la poésie française tenta de changer sa propre nature et même de la forcer. Enfin et surtout cet essai de retour à l’ancienne métrique fut encore un effet de l’esprit de la Renaissance, puisqu’il ne consista que dans une application ou plutôt dans une appropriation — excessive sans doute, impossible même, mais qu’importe — du génie de l’antiquité.


II

La musique en retira quelque avantage.

Le principe de la quantité, nous l’avons vu, ne régit en aucune façon notre langue poétique ; il est étranger, si ce n’est contraire à son génie. Le poète Baïf a beau prosodier ce vers ainsi :

S’il faut mourir, mourons d’amour,

et Mauduit le musicien, conformer à cette prosodie les valeurs (blanches et noires) de sa musique, l’un et l’autre n’obéissent qu’à des lois édictées par eux-mêmes et qui n’ont rien que d’artificiel et d’arbitraire. Le même vers se mesurerait aussi bien de toute autre sorte, et pour le noter avec justesse, la règle de l’accent est la seule qui s’impose au musicien. Il n’en est pas moins vrai que sur cette base, artificielle ou fictive, de la quantité, mais très haut au-dessus d’elle, les compositeurs du XVIe siècle ont

  1. M. Frémy, op. cit.