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chanson. Néanmoins, en France comme en Italie, la musique de cette époque demeure collection et groupe. C’est « l’art du contrepoint vocal, l’art pour l’art des sons combinés entre eux et dessinant sur un thème fondamental d’harmonieuses symétries[1]. » C’est le reste de l’art ancien et comme sa dernière fleur, mais c’est l’art ancien encore, et l’idéal de la Renaissance, faute d’un de ses deux élémens, n’est pas ici réalisé dans sa plénitude.

Il l’est du moins à demi, car notre XVIe siècle n’eut pas d’autre dessein, ou d’autre rêve, que de rétablir entre la musique et la poésie l’union, l’unité même, que le génie antique avait fondée, et qui s’était rompue. On ne trouverait pas dans notre histoire un moment où la musique et la poésie se soient mêlées et fondues davantage ; elles ne furent jamais dans une dépendance réciproque plus étroite ; jamais elles ne s’aimèrent d’un plus mutuel amour. Le XVIe siècle a ressenti pour la musique un goût, une tendresse, que le XVIIe et le XIXe siècle, plus grands encore par la poésie, ne devaient même pas soupçonner. Ce n’est pas seulement un Corneille, un Racine, c’est aussi et surtout un Lamartine, un Victor Hugo, qu’on s’étonne de voir indifférent, pour ne pas dire étranger à l’art musical. Un Ronsard au contraire en fit ses délices autant que de la poésie même, et la beauté de la parole ne lui parut achevée que par celle des sons. Tout nous apprend que ces deux modes de l’idéal se partageaient en quelque sorte son génie. Ronsard a regardé, chéri dans la poésie l’élément non seulement intellectuel, mais sensible. Ce que Ronsard et les écrivains de son école, a très bien dit M. Brunetière, « ont essayé de ravir à l’antiquité, ce n’est pas sa « science » ou sa « philosophie, » c’est son art : entendez ici le secret d’éveiller en nous l’impression de volupté presque sensuelle que leur procurait à eux-mêmes la lecture de l’Énéide ou de l’Iliade, celle de Pindare ou celle d’Horace. » Or cet art, ou ce secret, n’est pas assurément toute la musique ; il est pourtant quelque chose d’elle et d’elle seule ; c’est un don, c’est un charme qu’elle ajoute à la poésie, mais que par nature et par essence elle est seule à posséder.

Ronsard encore une fois a senti ce charme profondément[2].

  1. M. Henry Expert (Introduction générale).
  2. Nous empruntons sinon le portrait, du moins l’esquisse suivante de Ronsard musicien à la récente et très complète étude de M. Julien Tiersot : Ronsard et la musique de son temps. Paris, Fischbacher.