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arrogantes. La Faculté de Paris recevait la thèse d’un docteur dans laquelle se trouvait cette maxime : « Qui vient encore nous parler de liberté ? Comme la pierre qui tombe obéit à la pesanteur, l’homme obéit à des lois qui lui sont propres ; la responsabilité est identique pour tous, c’est-à-dire, nulle. » Les évêques signalaient le péril social, dénonçaient l’athéisme grandissant, Mgr Dupanloup avec fougue, Mgr Darboy avec élévation, et le tumulte des passions intellectuelles ou religieuses s’élevait au-dessus de la plainte des intérêts et du cliquetis de la mêlée politique.

Dans aucun document l’histoire ne trouvera une peinture plus fidèle et en même temps moins suspecte du désarroi de ce temps que dans un rapport du préfet de police Piétri, document précieux à un autre titre parce qu’il prouve que, sous l’Empire, il y avait des fonctionnaires osant dire la vérité et un souverain sachant l’écouter :

« Depuis quelque temps, la tâche quotidienne qu’impose la préparation de ce rapport est des plus pénibles. A quelques sources que l’on s’adresse, quel que soit le correspondant que l’on consulte, quelques renseignemens que l’on recueille, la situation actuelle apparaît toujours comme peu satisfaisante ; de quelque côté que l’on regarde, on se heurte à des inquiétudes sincères ou à des défiances qu’inspirent des hostilités ardentes. On est ainsi condamné à présenter à l’Empereur des appréciations qui peuvent sembler pessimistes ; elles ne font cependant que reproduire les impressions reçues ; elles les atténuent plutôt qu’elles ne les exagèrent, mais le sentiment du devoir et un religieux dévouement aux institutions impériales ne permettent pas de les dissimuler, si amère que soit l’obligation d’en être l’écho fidèle. La portion agissante de la société, celle qui s’occupe le plus de politique, qui aime les discussions, critique les gouvernemens, accentue plus que jamais son opposition radicale et systématique. Elle seconde activement les hommes de parti, elle se complaît dans les attaques de la presse, elle va répétant que l’Empire est atteint dans son prestige extérieur, dans la prospérité matérielle du pays qu’il avait ramenée, dans les garanties mêmes qu’il donnait à l’ordre social et aux intérêts conservateurs. Et pourtant les masses ne sont pas gagnées par cette défiance et celle désaffection. Elles restent attachées à l’Empereur et à sa dynastie ; elles aiment sa personne ; elles comptent toujours, sur sa sagesse ; mais ne faut-il pas craindre que, mobiles