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été le premier à appuyer les petites mesures humanitaires que l’on suggérait parfois à Moulay-abd-el-Aziz.

Si Abdelkérim est un mulâtre, assez foncé de couleur ; sa barbe commence à grisonner, les traits un peu épais de son visage restent jeunes et il n’a pas encore pris d’embonpoint. Son accueil est aimable et souriant, ses vêtemens soignés sans recherche d’élégance ; sa maison est grande, sans excès d’ornemens ; il donne l’impression d’un homme sérieux et utile, entêté dans ses vues, retors dans la discussion, mais loyal en affaires et plein du sentiment de sa responsabilité. Son langage est rempli d’expressions religieuses, et il termine volontiers ses discours par la formule de résignation à la volonté divine : « Il n’y a de force et de puissance qu’en Dieu ! » Il est si strict dans ses pratiques qu’il n’hésite pas à quitter ses hôtes pour faire exactement sa prière aux heures prescrites ; il s’entoure volontiers de chorfa et d’oulémas ; et, dans l’intérieur de sa maison, sont appendus aux murs, par dévotion particulière, ces longs cierges de cire brune, que les musulmans ont coutume de déposer sur le tombeau des marabouts. Relégué au second plan, critiqué dans son œuvre sur la frontière algérienne. Si Abdelkérim dut ronger son frein, en assistant sans mot dire au triomphe de Si el-Mehdi-el-Menehbi et à l’éclosion d’une politique qu’il considérait comme désastreuse pour le makhzen. L’apparition de Bou-Hamara permit au ministre des Affaires étrangères de rentrer en scène, et les progrès de l’agitateur donnèrent plus d’autorité à ses conseils[1].


V

Bien que Si el-Mehdi ait paru travailler dans l’intérêt anglais et Si Abdelkérim dans celui de la France, il faut se garder de

  1. L’éloignement de Si el-Mehdi-el-Menehbi marqua le triomphe de Si Abdelkérim, qui en profita pour introduire au makhzen deux de ses plus fidèles amis. Si Mohammed-el-Guebbas fut rappelé d’Alger, où il était installé comme commissaire marocain pour l’exécution des accords, et devint ministre de la Guerre : el-Hadj-Mohammed-el-Moqri entra dans la beniqa de l’amin des dépenses, rendue vacante par l’absence prolongée de Si Ahmed-er-Reqina, envoyé à Oudjda. Mais le triomphe de Si Abdelkérim fut de courte durée. — Débarrassé de la menace immédiate de Bou-Hamara, le sultan revint rapidement à ses habitudes antérieures ; il rappela à Fez toute la bande européenne, prit pour favori el-Hadj-Omar-et-Tazi, dont le frère Cheikh Tazi, ministre des Finances, fui en mesure de saisir la direction du makhzen.