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ses troupes, enfin de l’introduction, comme chef du ministère, de Bratiano, l’ami passionné de tous ses ennemis, connu pour ses idées avancées. Le prince Antoine, très fin, très avisé, avait cru d’abord que son fils n’avait pas à s’inquiéter de Napoléon III dont l’étoile semblait pâlissante. Mais, à la réflexion, il s’était convaincu que, « même après son échec de Mexico, Napoléon III dominait toujours l’Europe »[1], et que c’est à Paris qu’était encore le plus solide appui de son fils. Il voulait s’entretenir avec l’Empereur, ôter tout caractère agressif à l’union récente de sa fille Marie avec le comte de Flandre. Il fut reçu affectueusement, comme on reçoit l’ami dont on est sûr. L’Empereur ne se plaignit pas du mariage ; en renouvelant ses conseils au prince de Roumanie, il ne mit au bout aucune menace ; mais il ne cacha pas son désir de voir Bratiano quitter les affaires.

Après le Tsar et le roi de Prusse, ce fut le sultan Abdul-Azis qui excita le plus d’attention. Les Parisiens se réjouirent fort d’admirer, couvert de ses décorations et de ses dorures, le farouche maître et seigneur de tant de femmes. Il n’avait que trente-deux ans, et paraissait beaucoup plus âgé ; son invitation lui avait causé une joie d’enfant ; il ne se lassait pas d’admirer. Malgré son intention d’être aimable, son visage restait toujours sombre. Il ne disait pas un mot de français, mais il avait avec lui Fuad qui le savait à merveille. Il assista le 1er juillet, à la droite de Napoléon III, à la distribution des récompenses.

L’Empereur dit : « Félicitons-nous, messieurs, d’avoir reçu parmi nous la plupart des souverains et des princes de l’Europe et tant de visiteurs empressés. Soyons fiers aussi de leur avoir montré la France telle qu’elle est, grande, prospère et libre. Il faut être privé de toute foi patriotique pour douter de sa grandeur, fermer les yeux à l’évidence pour nier sa prospérité, méconnaître ses institutions, qui parfois tolèrent jusqu’à la licence, pour ne pas y voir la liberté. — Les étrangers ont pu apprécier cette France jadis si inquiète et rejetant ses inquiétudes au-delà de ses frontières, aujourd’hui laborieuse et calme, toujours féconde en idées généreuses, appropriant son génie aux merveilles les plus variées et ne se laissant jamais énerver par les jouissances matérielles. — Les esprits attentifs auront deviné sans peine que, malgré le développement de la richesse, malgré

  1. Mémoires du prince Charles de Roumanie, 30 juin 1867.