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groupés sans confusion, les précurseurs, les martyrs, les apôtres, les chefs théologiques et militaires, les humanistes, les orateurs, les écrivains de tous pays se rattachant à la Réforme ou ayant brillé dans son temps : Pétrarque, Machiavel, rapprochés de Reuchlin, Ulric de Hutten, Erasme ; Cervantes, de Shakspeare ; Calvin, de Dumoulin ; Michel-Ange. Léonard, Raphaël, autour d’Albert Durer ; Kepler, Copernic, Galilée fraternellement unis. Cette immense composition, par son ordonnance, son dessin, son invention, constitue une œuvre vraiment grandiose.

En dehors de l’Exposition, la foule accourait, aussi curieuse et empressée, dans un théâtre du boulevard où l’on jouait un opéra-bouffe, la Grande-Duchesse de Gérolstein. Ludovic Halévy et Meilhac, les spirituels auteurs de cette étourdissante drôlerie, avaient attendri parfois la force d’un comique irrésistible par une petite note discrète de sentiment. Le maestro Offenbach, artiste supérieur, puisqu’il a créé un genre dont il est resté le maître sans rival, avait mis, dans sa partition écrite selon les règles de l’art classique, à la fois le brio des fantaisies de l’imagination, le tapage de la joie, et les suavités mélodiques du cœur.

Des moralistes sévères ont trouvé ce succès mondial d’une bouffonnerie peu séante à la dignité de notre génie national. Il n’y avait pas là cependant de quoi nous diminuer. « Chacun des miracles de Çakya-Mouni, dit le Lalita-Vistara, se marquait par ceci : que tous les êtres vivant sur la terre éprouvaient le soulagement momentané de leurs maux. » Grâce au don divin de la gaîté, la France opère dans le monde ce miracle permanent. Depuis Rabelais, « par son art des peintures contrefaictes à plaisir pour exciter à rire, » depuis Voltaire, « qui lui apprit, comme dit Chateaubriand, à rire avec grâce, » elle n’a cessé d’apporter une immense consolation aux misérables humains en leur faisant oublier un moment « tout ce pour quoy tant ils veillent, courent, travaillent, naviguent et battaillent. » Par ce privilège, elle excelle au-dessus des autres nations, et l’Italie elle-même, cette inépuisable terre de tout art, n’a rivalisé avec elle qu’au moment d’Arioste et de Rossini. Cela aussi valait d’être exposé, et librettistes et maestro avaient bien mérité de nous en le faisant avec tant d’éclat.