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En échangeant cet objet démodé contre notre liberté d’action au Maroc, nous avons fait une bonne opération. Sans doute, cette sorte de congé qui nous est octroyé par l’Angleterre est accompagné de conditions qui blessent un peu la fierté nationale. Nous renonçons à tirer de cette contrée, pendant trente ans, aucun profit commercial exclusif. Clause plus dure encore, nous nous engageons à ne laisser construire aucun ouvrage fortifié en face de Gibraltar, qui continuera de se dresser, comme un insolent défi, de l’autre côté du détroit. Voilà une promesse qui, en d’autres temps, aurait pesé furieusement sur le cœur des Français. Quoi ! l’Angleterre a le droit de monter la garde à la porte de la Méditerranée, et nous, principal riverain, nous ne l’aurions pas ? — C’est ainsi, mes chers compatriotes. L’ombre de Nelson plane encore sur nous. Si cela vous déplaisait, il fallait devenir une grande puissance maritime. Nos pères, ou les dieux, ne l’ont pas permis. Maintenant vous aimeriez mieux avoir le Maroc sans condition ? Etes-vous prêts à faire la guerre ? Non, n’est-ce pas ? Alors, soyez conséquens avec vous-mêmes, et, puisque vous êtes si résolument pacifiques, il faut être modestes, très modestes. La diplomatie a vraiment tiré tout le parti possible de vos dispositions présentes. Elle obtient même beaucoup, si vous comparez le langage de lord Landsdowne à celui que lord Aberdeen tenait à M. Guizot, après la bataille d’Isly.

Quelques publicistes s’efforcent de déprécier le Maroc. Suivant eux, c’est un pays pauvre, barbare, déchiré par les factions. Nous y engloutirons en pure perte des armées et des milliards. On répond : C’est un pays aussi grand que la France ; il est presque partout, riche et fertile, par cette simple raison qu’il y tombe plus d’eau que dans tout le reste de l’Afrique du Nord ; aussi est-il plus peuplé que l’Algérie et la Tunisie ensemble. Il est barbare parce qu’il est mal gouverné. Nous y dépenserons beaucoup d’hommes et d’argent, si nous sommes assez étourdis pour briser le gouvernement local au lieu de l’améliorer. Mais l’expérience passée doit servir à quelque chose, et ce n’est pas pour rien que, depuis soixante ans, nous avons appris à protéger un lieu de détruire. Enfin, fût-il deux fois moins riche et dix fois plus épineux, il forme le complément indispensable de notre France africaine. Il nous donne une sortie sur l’Atlantique, un regard sur le détroit de Gibraltar. Il ouvre à la colonisation agricole un avenir presque indéfini. Occupé par une autre