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réserves de tendresse pour le frère Jonathan. N’était-il pas du même sang ? Les souvenirs de la guerre d’Indépendance, ceux de 1812, les picoteries de la guerre de Sécession, simples querelles d’amoureux ! Le Canada, les Antilles anglaises étaient dans la gueule du loup. Eh bien ! on prendrait le loup par son faible. On célébrerait son appétit anglo-saxon. Si, un jour, on devait être mangé, cela se passerait en famille. Ci, tant de navires de moins à faire figurer dans la balance des forces navales. C’est certainement une des plus curieuses volte-faces de la politique anglaise.

En Europe, la France était, de tous les rivaux de l’Angleterre, le moins à craindre. Sa population demeurait stationnaire, son commerce croissait très lentement. Elle avait fait, il est vrai, de rapides progrès dans la carrière coloniale ; elle avait même révélé, sur la côte occidentale d’Afrique, des aptitudes surprenantes. Ses établissemens y étaient plus florissans que ceux des Anglais eux-mêmes. C’est une vérité, que ceux-ci reconnaissent, car ils savent rendre justice à leurs adversaires. Mais si la France pouvait être parfois un voisin gênant, elle n’avait ni la volonté ni la force de disputer à la Grande-Bretagne l’empire du monde. Son abdication remontait à 1882, lorsqu’elle abandonna les clés du canal de Suez. On avait pu croire un instant qu’elle serait prédominante en Afrique. Mais la lutte était restée locale, et la France n’avait, cessé de battre en retraite vers l’Occident. Dernièrement encore, en offrant à l’Italie la Tripolitaine, elle s’était fermé volontairement le dernier chemin de l’Égypte. On devait donc pouvoir s’entendre avec elle. Le moment paraissait favorable pour une liquidation générale. Il fallait se hâter de mettre à profit les dispositions pacifiques du parlement français. — Nos voisins, se disaient les Anglais, sont des gens capricieux. Craignons leur réveil. Quand on les croit bien tranquilles, les voilà qui recommencent à tout casser ! Jamais nous ne retrouverons une heure aussi propice. — Faut-il ajouter que l’état présent de notre marine n’est pas pour leur déplaire ? Un pays qui change à chaque instant le type de ses navires et qui ajourne ses commandes dit assez haut qu’il ne veut pas se battre. Il reçoit la paix, il ne l’impose pas. Les Anglais avaient raison de croire qu’ils conduiraient toute la négociation. Mais une fois décidés, ils s’exécutèrent galamment. Avec un ensemble admirable, les feuilles anglaises, naguère les plus hostiles, entamèrent notre éloge.