Un peu plus tard, l’Angleterre se trouva seule pour arrêter la marche des Russes sur Constantinople. Où étaient les jours de Sébastopol ? La Grande-Bretagne se flatta quelque temps de faire entrer l’Allemagne dans ses combinaisons. Avec l’appui du chancelier, elle réussit à détruire les arrangemens de San-Stefano. Mais quelle différence ! Ce n’était plus le noble désintéressement d’un Napoléon III. Ces Allemands réclamaient leur part, sans même avoir combattu ; ils se faisaient payer leur honnête courtage, ou plutôt ils se payaient par les mains de l’Autriche, qui formait leur avant-garde en Bosnie. Désormais, l’Angleterre n’avait que le choix des maux. Pour couvrir Constantinople, elle abandonnait la route de Salonique au syndicat austro-allemand.
Le cabinet de Londres avait encore d’autres soucis. Les Etats-Unis, que l’Angleterre avait inutilement tenté de diviser pendant la guerre de Sécession, grandissaient d’une manière effrayante. Leur industrie naissait à peine et déjà l’on pouvait prévoir l’avenir économique de l’Union Américaine. A l’autre extrémité du monde, la Russie, lasse de répandre son sang en pure perte pour le bonheur des peuples slaves, se retournait vers l’Asie. Tutrice de la Perse, reine de l’Asie Centrale, poussant ses postes jusqu’à l’Afghanistan et jusqu’au fleuve Amour, elle s’avançait à pas de géant vers les marchés de l’Extrême-Orient. La lutte, pacifique ou guerrière, allait recommencer partout, et dans quelles proportions ! Non plus sur un champ de bataille restreint, sagement délimité, mais sur la surface entière du globe. Deux ans n’avaient pas passé sur le traité de Berlin, et la question de Constantinople, remise au point, n’apparaissait plus que comme un détail dans un immense tableau. Il fallait disputer, non quelques méchans ports de mer, quelques promontoires dénudés, mais des royaumes, des continens tout entiers ; et comme, une fois lancée, la logique ne s’arrête plus, l’Himalaya lui-même paraissait une barrière insuffisante : l’Inde, disait-on, était menacée.
Pour une si lourde tâche, l’Angleterre était-elle prête ? Ses forces navales s’étaient affaiblies, faute d’usage. Elle n’avait point alors la supériorité écrasante qu’elle possédait autrefois sur les marines étrangères, ni celle qu’elle tenta de reconquérir plus tard, en s’imposant de nouvelles charges. De 1859 à 1868, trois mille canons d’un nouveau modèle, construits par