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sa faiblesse relative mettait dans la clientèle de l’Angleterre. Napoléon n’y manqua pas. Aux applaudissemens de cette France aussi imprévoyante que généreuse, il brisa les chaînes de l’Italie.

Sur le continent, la politique de l’Angleterre devenait singulièrement facile. Elle n’avait pas besoin, comme autrefois, de nous créer des embarras. Spontanément, l’Empereur s’engageait à fond dans les affaires d’Europe sans en retirer d’autre profit que l’honneur. A Londres, on fermait les yeux sur les agrandissemens de la Prusse. Tout semblait bon pour enrayer les progrès de la France. Pourtant, à la longue, l’Angleterre s’alarma de ce marchandage de territoires qui se brassait en Europe. Napoléon III pouvait se faire payer ses bons offices. On parlait de la rive gauche du Rhin, de la Belgique même. Le prince de Bismarck exploita habilement cette inquiétude. Le cabinet de Londres, prenant au sérieux un projet de partage qui avait été dicté par Bismarck lui-même, ne fit rien, en 1870, pour nous arrêter sur les bords de l’abîme. Au contraire, il nous porta le dernier coup après la défaite, en paralysant les efforts des neutres.

Ce fut une lourde faute. La seule excuse des ministres anglais, c’est que la rapidité de notre chute les prit au dépourvu. Ils n’avaient point eu le temps de modifier leurs maximes de gouvernement. Ils se crurent revenus aux beaux jours de 1815. Sedan leur parut une sorte de Waterloo moins coûteux, dont la Grande-Bretagne devait être la première à recueillir les fruits. N’était-ce pas la tradition nationale ?

Ils se trompaient. La vraie tradition anglaise, celle des Guillaume III et des Pitt, consistait à tenir la balance de l’Europe en empêchant un seul État de prévaloir. Or, derrière la France abattue, se dressait un nouvel État beaucoup plus redoutable. Par l’étendue de son territoire, par l’essor de sa population, par la vigueur d’une renaissance longtemps comprimée, par l’esprit méthodique mis au service de l’industrie, l’Allemagne allait ouvrir une nouvelle et large brèche dans le monopole commercial de l’Angleterre. Celle-ci commettait une erreur semblable à celle du gouvernement de Louis XV, prolongeant au-delà des limites nécessaires la lutte contre la maison d’Autriche. Ses préventions contre nous l’avaient aveuglée. Son intérêt était bien que la France ne fût pas trop forte sur terre et sur mer, mais non qu’elle devînt incapable de contre-balancer ses voisins, et encore moins qu’elle se jetât dans les bras de la Russie.