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audacieux tâta successivement tous les points faibles de notre rivale : il voulut lui enlever, à Malte, l’empire de la Méditerranée ; en Égypte, la route des Indes ; dans la Manche, la sécurité de ses côtes et l’orgueilleux isolement de sa capitale ; dans l’Europe entière, la sûreté et la liberté de son commerce. Un seul désavantage ruina tous ses desseins : il n’était pas maître de la mer ; dès lors, il devait succomber. Sa perspicacité ne servit qu’à éclairer les Anglais sur leurs propres intérêts : à Malte et plus tard en Égypte, ils suivirent les leçons de Napoléon, comme ils avaient suivi celles de Dupleix aux Indes. Combien de fois nos grands hommes ont-ils été les éducateurs des autres peuples et les premiers artisans de leur fortune !

La chute de Napoléon marque l’apogée de la grandeur militaire des Anglais. Aujourd’hui encore, ils vivent sur le souvenir de Trafalgar et de Waterloo. Depuis lors, ils n’ont pas livré une seule bataille navale, ni joué le rôle principal dans une grande guerre continentale. Entre eux et nous, la lutte, de guerrière, est devenue pacifique. Mais, si les moyens ont changé, le but est toujours le même. Jusqu’à ces derniers temps, l’abaissement de la France était resté la maxime fondamentale du cabinet de Londres. Aussi le combat diplomatique s’engagea-t-il dès le lendemain des traités de Vienne.


I

Entre l’Angleterre victorieuse et la France abattue, la comparaison ne semblait pas possible. Cependant la disproportion des forces était moins grande qu’il ne paraissait au premier abord. L’Angleterre était plus riche, la France plus économe. L’une semblait disposer de ressources inépuisables, mais ses capitaux, engagés dans les affaires, étaient à la merci des crises. L’autre, avec des ressources limitées, se refaisait constamment par l’épargne. L’une jouissait des avantages de la liberté, mais elle en subissait aussi les charges : les dépenses locales, toujours croissantes, gênaient l’action du gouvernement. L’autre souffrait parfois d’une centralisation excessive, mais toutes les forces étaient dans la main du pouvoir. L’Angleterre nous dépassait par son industrie, déjà vigoureuse, par l’étendue de son commerce, par l’importance de ses colonies ; mais le territoire de la France, plus vaste, plus uni, mieux proportionné, offrait