Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devaient y rester de six à dix heures du matin et de trois heures au maghreb ; ils ne chômaient que les jeudis, la matinée du vendredi et lors des trois grandes fêtes religieuses. Chaque jour, sans exception, tous les ministres étaient appelés par le sultan, selon un roulement régulier. Sous ce régime, le makhzen était très fort, car le sultan concentrait réellement entre ses mains toutes les forces de l’Etat ; un vizir n’avait à s’occuper que de ce qui concernait sa beniqa propre, et il en était responsable vis-à-vis du maître. Pourvu que celui-ci fût satisfait de ses services, le vizir était libre de se payer à son gré sur le dos de ses administrés et de suppléer ainsi à la pénurie de ses appointemens.

L’avènement aux affaires de Moulay-abd-el-Aziz a bouleversé ces vieilles habitudes de gouvernement autoritaire et patriarcal, et l’on vit poindre brusquement, dans le vieil édifice du makhzen, certains germes de gouvernement constitutionnel. Le nouveau régime établit un projet de réformes fiscales, qui proposait d’un seul coup l’abolition de tous les privilèges, — négligeant le fondement historique du makhzen, dont l’existence même est liée au maintien de groupes privilégiés. Sous l’empire de ces influences novatrices, la conception d’une responsabilité collective, d’une sorte de conseil des ministres, se fit jour au sein du gouvernement marocain ; désormais, à la fin de la makhzénia, les vizirs se réunissent dans la beniqa du grand vizir, pour y tenir le medjlis ou kourtih ; chacun deux y apporte les affaires importantes de son département et les soumet à la décision de tous. Enfin, les fonctionnaires se virent attribuer des appointemens fixes et se lièrent, en échange, par les sermens les plus solennels, garans de leur future intégrité.

Par malheur, le jeune souverain, qui inaugurait ainsi au makhzen le règne de la vertu, n’avait lui-même aucun goût pour les affaires. Timide et nonchalant, il ne fait plus à la Koubbel-en-Nasr que de courtes apparitions, et la makhzénia tout entière s’est docilement conformée aux allures du maître : vizirs et secrétaires se sont attribué un supplément de congé hebdomadaire : le vendredi est devenu jour de complet chômage au même titre que le jeudi. Les heures de service ont été écourtées : on ne remonte plus au Dar-el-makhzen pendant l’après-midi ; en revanche, on prolonge le travail du matin jusqu’à complet achèvement de la besogne journalière, et les vizirs restent chez eux à la disposition