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un interprète et quelques laptots ; le matériel, une petite pacotille, des instrumens scientifiques et des armes réduites au minimum, comme il convenait pour traverser des contrées placées sous l’autorité de puissances étrangères chargées de veiller à la sécurité de la mission. Un transbordement eut lieu le 5 août dans la rivière Forcados, l’une des branches du delta du Niger, sur laquelle la France possède une enclave ; le 26 août, quarante-deux jours après le départ de Bordeaux, nos compatriotes atteignaient, en plein Cameroun, le poste allemand de Garoua.

L’exploration du Kabi et du Toubouri se présentait dans des conditions que la saison des pluies rendait singulièrement pénibles pour ceux qui allaient affronter une chaleur accablante, des tornades continuelles, la piqûre des moustiques, et, après une navigation rendue fatigante par la vitesse du courant, s’engager dans des marécages, s’enfoncer dans la vase pour y chercher le chenal rêvé. D’autre part, le choix de cette saison s’imposait. Les relations fluviales des bassins du Niger et du Chari ne devaient se produire que sous l’influence de la crue ; et, par suite, l’étude d’une voie navigable, capable de servir au ravitaillement de nos territoires du Tchad, n’avait sa raison d’être qu’à l’époque des hautes eaux.

Ici la curiosité scientifique n’était pas seule en éveil. Un intérêt économique puissant et des considérations d’ordre politique stimulaient le zèle de la mission. Il s’en fallut de peu que notre pavillon ne flottât définitivement sur les rives de la Bénoué et du bas Niger au même titre que le pavillon britannique. Qui ne se souvient, dans les milieux coloniaux, de la patriotique entreprise du comte de Sémélé ; des heureux débuts de la Compagnie française de l’Afrique équatoriale, et du développement que prit cette Société sous la forte impulsion du commandant Matteï ? De 1882 à 1885, cet officier, devenu consul de France à Brass et agent général de la Compagnie, assura le fonctionnement de plus de trente comptoirs français, centres de rayonnement de notre influence, qui s’étendit par le Niger dans le Noupé et par la Bénoué au-delà d’Ibi, où jamais blanc n’avait pénétré avant nos agens. Cependant ce beau feu s’éteignit. Abandonnée par ceux qui avaient le devoir de la soutenir, faiblement encouragée par l’opinion publique, ruinée par une concurrence désastreuse, la Compagnie française de l’Afrique équatoriale dut céder tout son matériel nautique et terrestre à sa rivale anglaise, qui devint la Royal Niger Company. La conséquence immédiate de cet abandon fut la constatation par les membres de la Conférence de Berlin du fait accompli. Ces vastes territoires que nous