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l’ardeur de ses études, la question prit même à ses yeux un essor très élevé, une sorte d’allure mystique ; et, comme tous les fervens d’une idée géniale, il ne considérait pas seulement les avantages matériels et les résultats économiques de la transformation projetée, il y voyait en quelque sorte l’accomplissement d’une volonté supérieure, une conquête d’une haute portée morale, une manifestation éclatante du progrès et de la marche des peuples dans la voie du bien et de la paix avec l’aide et sous la protection de la puissance divine. « Dieu, disait-il, a voulu qu’il y ait des nations. En les disséminant sur la terre, la divine Providence les a, dès le principe, séparées par des obstacles capables de protéger leur berceau : là de hautes montagnes ou des plaines profondes, ailleurs le désert, ici l’Océan. Sans doute cet isolement primordial fut nécessaire pour des plans suprêmes d’harmonie ; il permit à chaque groupe de développer sans trouble le type de sa race ; il facilita l’essor de son caractère propre et différentiel. Mais plus tard, quand cette œuvre d’agrégation fut consolidée par la persistance des liens puissans d’une commune origine, un besoin général d’expansion se manifesta chez ces peuplades primitives : d’abord par la guerre et la spoliation, ensuite par la religion et le commerce. Si notre jeune humanité, vue dans son ensemble, est dans un état moral peu avancé, si l’homme selon Dieu est encore une rare exception dans la foule, un certain nombre de nations néanmoins paraissent adultes et disposées à tenir aujourd’hui dignement leur partie dans le concert harmonieux des peuples préparé pour nos descendans. On a pu constater déjà, comme un signe manifeste de l’esprit religieux de notre temps, la propension générale des nations à abaisser les remparts, naturels ou factices, derrière lesquels se retrancha longtemps leur antagonisme. L’indice de cet entraînement se vérifie par les efforts contemporains pour aplanir les principaux obstacles qui interrompent les routes commerciales des peuples : la coupure de l’isthme de Suez, celle de l’isthme américain, le percement des Alpes, la jonction du territoire anglais au continent d’Europe[1]. »

  1. A. Thomé de Gamond, Étude de l’avant-projet du tunnel sous-marin entre l’Angleterre et la France reliant sans rompre charge les chemins de fer de ces deux pays par la ligne de Gris-Nez à Eatsware. Paris, 1857. — Id., Plans du projet nouveau d’un tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre produit à l’Exposition Universelle de 1867. Paris, 1869.