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11 novembre. — Le coup de vent d’Est a duré trente-six heures. Ce matin la brise tombe, les nuées s’éclaircissent, s’entrebâillent et laissent voir, par échappée, un pâle soleil. Ce n’est encore qu’un sourire, mais déjà sur le quai du port, si triste avant-hier soir, le mouvement, la vie renaissent. Les canots-majors portant leurs chambrées d’officiers doublent « l’angle Robert, » amènent les voiles et bordent les avirons… Ils accostent… Et maintenant, c’est la gaîté, c’est le bruit joyeux, les flâneurs qui s’arrêtent curieusement, les marchands de journaux qui glapissent, les bouquetières qui lancent des œillades.

Pressés de rentrer chez eux, les officiers sérieux, les lieutenans de vaisseau filent vite. Les jeunes enseignes, les aspirans restent là un moment, incertains s’ils iront à droite ou à gauche, s’ils « feront » la rue d’Alger ou la rue de l’Arsenal. Et on cause, et on rit ; on fait des projets pour le soir. Hem ! ce soir !…

J’aperçois Lucien Varois, le frère aîné du Saint-Cyrien, passé enseigne il y a un mois. Il parle raquettes et tennis dans un groupe de jeunes élégans. Ah ! parbleu !…


Du souci qui m’oppresse il n’est point tourmenté.


Et vraiment, qui a tort, qui a raison de nous deux ? À quoi sert de prévoir des malheurs qu’on ne saurait écarter de sa route ? Ne vaut-il pas mieux laisser faire la force inconnue qui nous mène, et, chaque jour, insouciant, cueillir la fleur de la vie ?


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