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armorié. Renseignemens pris, c’est la maison du consul d’Antrechaus, le Belzunce de Toulon.

La peste fit ici, en 1721, autant de ravages qu’à Marseille en 1720. De 26 000 habitans la population tomba à moins de 15000. Jean d’Antrechaus eut une conduite admirable : il perdit, avec presque toute sa famille, deux frères qui n’avaient pas voulu l’abandonner. La reconnaissance publique l’éleva cinq fois encore aux fonctions de premier consul de la ville, et son fils fut élu à son tour en 1769.

Quelle épouvante que cette peste et quels barbares procédés de traitement ! Les médecins n’avaient rien imaginé de mieux pour empêcher la contagion que d’interner — sous peine de mort ! — les habitans dans leurs maisons. On faisait passer les alimens par les fenêtres ; les cadavres aussi. Et du moment qu’un malheureux était atteint dans une maison, tous étaient assurés d’y mourir. Peut-on rêver supplice moral plus affreux ?

En 1883, quand, tout jeune officier, j’habitais justement la rue d’Antrechaus dans la nouvelle ville, j’ai ouï conter par une très vieille dame les cérémonies qui marquèrent l’entrée solennelle du gouverneur de Provence, après la peste. Cette dame en tenait le récit de sa bisaïeule « qui voyait encore, comme si elle y était, le beau cheval blanc, le bel habit et la majestueuse perruque de M. le comte de Grignan, lieutenant du roi… » Et la bonne bisaïeule se trompait, car le gendre de Mme de Sévigné était mort en 1714, et si, en effet, toute petite, elle l’avait vu à Toulon, ce ne pouvait être qu’en 1707, après le siège des Austro-Sardes. Il est très vrai, d’ailleurs, que M. de Grignan montait cette fois-là un « magnifique cheval blanc. » Enfin, de 1707 ou de 1721, voilà un souvenir précis du début du XVIIIe siècle que je tiens de seconde main seulement.

Allons, le jour baisse, l’humidité des soirs d’automne se fait pénétrante dans ces rues sombres. Descendons vers le port, vers ce qui reste du gai soleil blondissant de tout à l’heure. Au coin de la rue de l’Hôtel-de-Ville et de l’ancienne rue Bourbon, devenue la rue de la République, nous jetons un coup d’œil sur la maison de Puget, une belle maison, ma foi, où d’ailleurs on a mis son buste, mais dont il est malaisé, faute d’un recul suffisant, de juger l’ordonnance architecturale.

Quant à l’Hôtel de Ville, dont la façade, au contraire, est là, sur le quai du port, en pleine lumière, en plein espace, rien de