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UN PEINTRE AU JAPON.

Asakichi rappelle tout cela ; en somme, ce qu’il dit n’a rien d’individuel, il n’est qu’une des petites vagues d’une mer insondable, il n’exprime que le sentiment ancestral, l’émotion vague, mais incommensurable, du shinto qui chez lui se mêle aux aspirations les plus hautes du bouddhisme. La nuit tombe, les étoiles et les feux électriques de la citadelle brillent à l’envi, le clairon sonne et, de la forteresse à Kiyomara, roule dans la nuit, comme un grondement de tonnerre, le chant de dix mille hommes. Nishi me higashi me, traduction libre :

Oh ! le pays, du Sud au Nord, est couvert d’ennemis, à l’Ouest, à l’Est, en avant, tout est noir d’ennemis. Nul ne peut dire le nombre des hordes qui se répandent de la plage de Satsuma, du rivage de Tsukushi.

Tous les soldats connaissent ce chant, le Chant du Siège, — qui défie la ruine d’atteindre l’Empire éternel, quand bien même la terre se déchirerait en deux, quand bien même tomberait le ciel, quand bien même les montagnes se mêleraient à la mer.

Le maître ne reverra plus son élève après qu’au seuil de sa demeure celui-ci lui a envoyé un dernier salut ; le tonnerre des chants belliqueux continue et le mugissement des trains qui emportent tant de vaillance et de fidélité vers la fièvre des rizières chinoises et les cyclones menaçans de la mort. Bientôt le nom d’Asakichi figure sur la longue liste publiée par les feuilles locales. Ce soir-là, le vieux serviteur japonais décore et illumine l’alcôve de la chambre de réception comme pour une fête, il met des fleurs dans les vases, allume les baguettes d’encens et place au milieu de tout cela une photographie devant laquelle est servi le festin traditionnel en miniature : du riz, des fruits, des pâtisseries.

— Peut-être, dit-il, plairait-il à son esprit que le maître consentit honorablement à lui parler. Il comprendra l’anglais du maître !

Et le maître parla au petit portrait qui semblait lui sourire à travers les spirales d’encens.


Dès le premier instant de la déclaration de guerre, personne au Japon n’avait douté de la victoire. L’enthousiasme fut universel et profond. L’histoire de succès éclatans, écrits de confiance et publiés en fascicules, se répandait dans tout le pays,