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UN PEINTRE AU JAPON.

Et il parle presque gaîment de l’honneur qu’il y a à tomber sur le champ de bataille. Après, le gouvernement prend soin de la famille ; il est triste sans doute pour quelques-uns de mourir sans laisser un fils qui perpétue le nom et continue les offrandes aux ancêtres, mais lui, quoique célibataire, n’aurait rien à regretter, car il est fils cadet, ses parens sont encore jeunes et l’aîné les soutiendra dans leur vieillesse. En outre, ils seront beaucoup à la maison pour l’aimer, car les morts ont besoin d’amour.

Le sentiment des Japonais au sujet de l’âme est ici exprimé d’une manière intéressante. Les esprits protecteurs des parens hantent la demeure familiale pendant cent ans et veillent sur ceux qui survivent, ce qui n’empêche pas le long voyage au Meido que tous doivent faire, car l’âme est une et multiple tout ensemble. Elle peut être en maints lieux à la fois ; l’idée du Meido, du culte familial et des prières au temple n’offre donc rien de contradictoire. L’état de Bouddha est sans fin et sans limites, immense comme l’élément de l’éther, ce qui n’empêche pas qu’après la mort on reste dans sa famille, au milieu de ses parens et de ses amis, on jouit de la lumière du monde comme auparavant.

Lafcadio, en écoutant Asakichi, se souvient de la composition d’un de ses élèves sur l’avenir du juste : « Son âme flottera éternellement dans l’univers. » Les croyances des Japonais sur ce chapitre ressemblent beaucoup à celles des Grecs de l’antiquité. Mêmes sacrifices aux morts, mêmes honneurs rendus aux mânes des héros, mêmes bûchers allumés après la bataille pour recueillir autant que possible les cendres des guerriers qui seront renvoyés dans la patrie. L’Empereur lui-même les tiendra en vénération et ils auront l’amour du peuple tout entier qui les priera d’aider le Japon aux temps de dangers nationaux. Cette foi, ces espérances sont nourries dans l’âme des jeunes gens dès les années d’école. On les conduit en excursions militaires aux sanctuaires où sont honorés les héros ; en bon ordre, dans les demi-ténèbres du bois sacré, ils se rangent silencieux ; la trompette fait retentir un appel de bataille ; tous présentent les armes, et c’est chez chacun d’eux le genre d’émotion qu’a chantée un poète japonais qui fut soldat avant de devenir prêtre :

La cause je ne peux la dire, — mais quand j’aborde le temple, — des larmes de reconnaissance me coulent des yeux.