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UN PEINTRE AU JAPON.

mène, curieux et ravis jusqu’au bout. Ses impressions de voyages, de pèlerinages plutôt, sont encore le meilleur de son œuvre.

Et du Japon moderne, que nous dit-il ?… Il nous dit que si occidentalisé qu’il paraisse, on aurait tort de croire qu’en trente ans, le caractère moral et mental de la race ait pu changer : le Japon a, selon lui, emprunté des armes à l’Occident pour mieux résister à ses insidieuses influences ; ses véritables progrès n’ont jamais été opérés que du dedans. Rien de vraiment remarquable ne sera obtenu dans des directions étrangères à l’âme de la race. Le développement, prétendu subit et quasi miraculeux, n’est qu’un réveil national, tendant à rendre le Japon aux seuls Japonais, à expulser les influences étrangères commerciales et autres.

Mais à travers la Société japonaise contemporaine nous avons eu ici même un guide sûr et abondamment documenté, M. André Bellessort[1]. C’est à lui qu’il faut nous reporter pour savoir ce qui reste des antiques vertus ancestrales au Japon européanisé et pour corriger par quelques antidotes l’effet des enchantemens de Lafcadio Hearn. Nous renvoyons à son livre daté d’hier ceux qui sont curieux de connaître les héritiers des daïmo, des samuraï et des geisha légendaires, dont un poète survenu au bon moment dans leur patrie, où tout est, comme il le dit, impermanent, nous a retracé l’histoire et laissé les portraits.

Cette impermanence, M. Bellessort l’a qualifiée : goût déplorable du provisoire et du changement, mais voyez comme Lafcadio Hearn la poétise ! Rien n’a jamais été fait au Japon, nous dit-il, avec une idée de durée : les sandales de paille sont changées à chaque étape du voyage ; la robe n’est qu’une étoffe, attachée çà et là par quelques points, la maison se construit en peu de jours : partout la même absence de solidité, de stabilité, sauf dans la forme immémoriale du costume des paysans et de leurs instrumens de travail. Depuis le commencement de son histoire, le Japon a eu plus de soixante capitales ; sauf quelques temples, quelques forteresses, la plupart des villes n’ont que la durée d’une génération ; la terre elle-même est celle de l’impermanence, il n’y a pas de nature plus sujette aux transformations : les pics volcaniques s’écroulent, les vallées sont bloquées par la lave, les lacs paraissent et disparaissent ; il ne demeure que des

  1. Voyage au Japon. La Société Japonaise, 1 vol. Perrin.