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UN PEINTRE AU JAPON.

Comme à l’ordinaire, les prêtres bouddhistes arrivèrent avant même d’être avertis, l’âme du défunt ayant, selon la tradition, frappé à la porte du temple de la famille, et ils accomplirent les minutieuses cérémonies qui ont lieu devant l’autel domestique, au pied duquel gît le cadavre en compagnie de l’épée nue qui doit éloigner les mauvais esprits. Dans le kwan, ce curieux cercueil carré qui ressemble à un palanquin, le mort fut déposé, muni de la somme voulue pour les six Jizo[1] qui gardent les chemins de l’ombre. Puis une procession funèbre se mit en marche, suivant à pas lents la clochette du prêtre, quelques-uns portant des bannières blanches, d’autres des fleurs, tous des lanternes en papier, car les adultes de la province d’Izumo sont enterrés le soir. Le cercueil, au bras des fossoyeurs parias, venait derrière, et, après lui, les femmes toutes de blanc vêtues comme des fantômes. Au temple, le kwan est déposé devant la porte, et un autre service s’accomplit, une musique lente se mêlant à la récitation des sutras. La procession repart, toujours éclairée fantastiquement par les lanternes, elle tourne autour de la cour du temple, gagne le cimetière ; mais l’enterrement ne se fera que vingt-quatre heures après. Les corps sont rarement brûlés dans Izumo où le shintoïsme forme le fond des croyances. Une fois encore, le maître revoit son élève vêtu de blanc, souriant, les yeux fermés, presque du même sourire dont il accueillait en classe une explication difficile à comprendre, seulement le sourire est plus doux et il exprime une connaissance plus large de choses plus mystérieuses.

Le service commémoratif coûte très cher, et Yokogi était pauvre, mais une souscription des maîtres et des étudians a couvert les dépenses. Ce tonnerre de bronze, la grande cloche de Tokoji résonne pour lui au-dessus du lac ; il est répercuté par le cercle des montagnes. Des prêtres de tous les temples principaux sont accourus. Mille chaussures s’entassent à la porte. Offrandes de fleurs et de fruits, nuages d’encens, déploiement de soies éclatantes sur les épaules des superbes officians qui se tiennent côte à côte, en longues rangées. La cloche s’arrête, la prière qu’accompagne l’offrande de nourriture faite aux

  1. Jizo, sous ses formes multiples est l’une des plus aimées parmi les divinités populaires, celle que les mères en deuil implorent avec le plus de confiance ; il préside au Sai-no-Kawara où vont les enfans après leur mort et s’y fait leur ami, le compagnon de leurs jeux.