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UN PEINTRE AU JAPON.

l’originalité. Exemple : chaque semaine, il fait écrire aux étudians de troisième, quatrième et cinquième années, une composition en anglais sur des sujets japonais, et il est émerveillé de l’habileté de quelques-uns pour exprimer leurs pensées ; mais les compositions, toujours marquées à l’empreinte du sentiment national, ne révèlent guère de caractère individuel. Il cite une de ces compositions sur la Lune, qui nous semble ravissante par la nouveauté des images, des pensées, des comparaisons ; cependant ces mêmes pensées, ces mêmes images se retrouvent dans une trentaine de compositions à la fois. L’imagination que paraît posséder le Japonais n’est que réminiscences ; elle a été formée, il y a des siècles et des siècles, en Chine d’abord, puis au pays natal. Depuis l’enfance, il a appris à sentir la nature comme l’ont sentie ces merveilleux artistes, à qui quelques coups de pinceau suffisent pour jeter sur le papier la sensation en couleur d’une aurore glaciale, d’une ardente après-midi ou d’un mélancolique soir d’automne. Durant toute sa jeunesse, il a appris par cœur les plus beaux passages de la littérature ancienne ; il s’est approprié la vision du Fuji pareil à un éventail renversé, suspendu sur le bleu du ciel, et la comparaison qui montre le cerisier en fleur retenant captifs entre ses branches les nuages roses de l’été. Il a appris à reconnaître, dans certaines feuilles tombées sur la neige, la chute des textes au pinceau sur une feuille blanche ; ainsi de suite ; il ne fait qu’utiliser l’héritage des vieux poètes, et la supériorité d’une composition ne prouve que de la mémoire jointe à une combinaison plus ou moins adroite de pensées anciennes. De même les enfans ont été dressés à découvrir une moralité en toutes choses animées ou inanimées. Si on leur parle de mouches phosphorescentes, ils vous content l’histoire de l’étudiant chinois qui, trop pauvre pour s’acheter une lampe, emprisonna ces insectes en grand nombre dans une lanterne et parvint à travailler la nuit avec leur secours jusqu’à ce qu’il fût devenu un grand savant.

La pivoine ?… Elle est belle à voir, mais son odeur est désagréable. Telle la beauté attire souvent, mais la désillusion suit cet attrait.

Le moustique ?… Il est utile parce que sa piqûre ramène au devoir de l’étude l’écolier somnolent, etc.

Ils ne trouvent rien de tout cela, ils se rappellent. L’uniformité apparaît de même dans les sentimens. Ayant demandé à plusieurs