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et me défendit chaleureusement. Girardin, de lui-même, avait compris l’injustice de son emportement. Il se retourna contre la meute qui, n’étant plus contenue par lui, me déchirait à belles dents : « Une exagération de loyauté plus facile à expliquer qu’à justifier, un excès de désintéressement personnel poussé jusqu’à l’abnégation extrême, ont pu entraîner M. Emile Ollivier plus loin qu’il n’aurait dû aller, mais, en proclamant sa confiance et sa satisfaction, M. Emile Ollivier n’en conserve pas moins tous les droits au respect que commande son caractère. Nous n’en connaissons pas de plus noble et de plus pur… La justice exige qu’il soit reconnu qu’avant que M. Ollivier adhérât au programme de M. Rouher, le ministre d’État avait adhéré au programme du fondateur de l’opposition constitutionnelle et se l’était approprié. Non, quoi qu’en dise plus spirituellement que véridiquement le journal le Temps, ce n’est pas M. Ollivier qui est monté dans le train chauffé par M. Rouher ; c’est M. Rouher qui est monté dans le train chauffé par M. Ollivier. »

Mon assentiment public ne m’attira pas de remerciement de Rouher. Il ne m’entretint d’aucun des projets en préparation, évita même de me rencontrer. Son gendre Welles de La Valette, assisté par Darimon, s’occupa de constituer une réunion de la majorité, appelée de l’Arcade, du nom de la rue où elle se rassemblait et dont l’objet, comme il disait, était de démolir Walewski et Emile Ollivier, et surtout, de rendre les lois libérales le moins libérales possible. Les deux journaux le plus particulièrement sous son inspiration, la Patrie et le Pays, ouvrirent un feu permanent contre moi.

L’Empereur, du moins, me marqua sa gratitude. Il me fit prier de venir le voir et, cette fois, sans mystère : « Je suis heureux, me dit-il, de pouvoir compter sur votre concours. J’ai désiré vous voir pour vous remercier de votre adhésion. » Je lui dis : « Je regrette qu’elle n’ait pas inspiré à M. Rouher les mêmes sentimens ; il me fait attaquer sans répit par ses journaux, ce qui n’encouragera personne à m’imiter. — Mais, répondit l’Empereur, il m’a dit qu’il ne le faisait pas. — Il ne vous a pas dit la vérité, Sire. » Et je lui en donnai les preuves. Il devint sérieux et s’écria : « Il faut que cela cesse ; du reste, vous êtes au-dessus de tout cela. » Il m’expliqua pourquoi il avait donné à Rouher le ministère d’État et les Finances : Walewski avait trop parlé, Rouher était blessé ; il lui fallait une réparation. « Du