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vous êtes indispensable au succès du plan ; l’Empereur a confiance en voire caractère et en votre talent, et il a de la sympathie pour votre personne ; votre nom lui paraît nécessaire pour donner à la réforme sa véritable signification, et aussi pour qu’il ait la garantie qu’il ne restera pas sans défenseur, si M. Rouher l’abandonne ; moi-même j’ai besoin d’avoir auprès de l’Empereur quelqu’un qui me seconde. Sans doute ce que nous ferons ne sera pas tout ce qui est désirable : ce sera du moins un bon commencement, et, avec le temps, nous obtiendrons le reste. — Mais avec qui me trouverais-je ? — L’Empereur n’est encore fixé que sur votre nom. » Puis il insista : « Si on ne marche pas en avant, on marchera en arrière ; donnez-nous donc sans hésiter votre concours pour marcher en avant. » Je ne me rendis pas ; je promis simplement de réfléchir. Nous nous ajournâmes au 2 janvier 1867.

Je passai la journée du 1er janvier à débattre le pour et le contre. Le soir venu, je fis connaître mes impressions à Walewski. Écrire n’est une faute dans une négociation que quand on ruse ; quand on est loyal, c’est une garantie. Voici ma lettre : — « Mon cher président, je suis vraiment très combattu. J’éprouve une répugnance presque invincible à quitter ma vie paisible d’études et de méditations et à me lancer dans la vie militante de l’action. D’autre part, je sens que, comme citoyen, je n’ai pas le droit de refuser mon concours à une œuvre de salut pour mon pays. Si je m’adressais à un cœur moins droit que le vôtre, le premier sentiment l’emporterait, et à votre ouverture je répondrais : Non. Avec vous, mon langage sera différent et je dirai : Si vous le pouvez, épargnez-moi cette épreuve ; faites, sans moi, avec vos amis ; mais, si vous m’affirmez en conscience que mon refus rendrait tout impossible, je me déciderai. Je ne stipule rien pour moi personnellement. Aucun poste ne me paraîtrait trop humble. Mais il est deux points sur lesquels je ne puis rien concéder :

1° L’abandon du projet de loi de réforme militaire. Ce projet soulève un tolle général. Les ennemis de l’Empire s’en réjouissent, ses amis sont consternés. La réorganisation de l’armée ne cessera d’être nuisible au gouvernement que si elle s’opère avec les ressources du budget et du contingent actuels. Faire plus ne serait opportun que si l’on se propose de préparer une guerre à courte échéance avec la Prusse. Or, je ne saurais défendre une telle