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il est emporté par son zèle. Toutefois, ce mouvement de réhabilitation en faveur d’un écrivain trop oublié est intéressant à noter. Il avait été commencé par M. Edmond Biré, qui a consacré à Victor de Laprade, sa vie et ses œuvres[1] un livre savamment documenté. Les temps redeviennent meilleurs pour le pur écrivain de Psyché et de la Mort d’un Chêne.

Enfin, c’est un lieu commun d’opposer à la sécheresse et à la pauvreté de la poésie du XVIIIe siècle finissant le soudain éclat de la révolution romantique, puis de mettre la poésie parnassienne en contraste avec la poésie romantique ; M. Canat s’efforcera donc de montrer qu’où l’on cherche à voir une opposition entre des formes différentes de notre littérature, il y a bien plutôt continuité entre des momens successifs de la pensée et de la sensibilité françaises. C’est ici l’idée-mère du livre, et je me plais à la signaler, parce qu’elle porte témoignage de la méthode qui aujourd’hui prévaut dans l’histoire littéraire. Il n’y a pas très longtemps encore, on s’efforçait de diviser cette histoire, comme aussi bien l’histoire générale, en périodes aussi tranchées qu’il était possible, et de définir nettement les caractères par lesquels elles s’opposaient. À cette conception, qui avait le tort de figer dans une espèce d’immobilité pour un certain nombre d’années le travail de l’esprit, on a substitué la notion de transformations incessantes et insensibles, qui est plus en accord avec ce que nous savons des lois générales de la vie : ç’a été l’une des conséquences de l’idée d’évolution appliquée à la critique littéraire. Dans la préface du premier volume, récemment paru, de son Histoire de la littérature française classique[2], M. Brunetière écrit : « Je crois, et je persiste à croire depuis vingt-cinq ans, que, de toutes les hypothèses qui peuvent communiquer à une histoire de la littérature quelque chose de l’allure, du mouvement et du caractère successif d’une histoire digne de ce nom, il n’y en a ni de plus naturelle que l’hypothèse évolutive, ni de plus conforme à la réalité des faits, ni de plus abondante, chemin faisant, en conséquences qui la vérifient. » C’est bien ici d’une de ces conséquences qu’il s’agit : et le fait est que cette idée de la continuité, devenue familière à la critique enseignante aussi bien qu’à la critique érudite, en les pénétrant, les a renouvelées. M. Canat ne manque pas de s’y conformer : « Dans le passage d’une époque littéraire à une autre, écrira-t-il, ce qu’il faut voir et marquer, ce sont les transitions

  1. Edmond Biré, Victor de Laprade, 1 vol. in-8o ; Perrin.
  2. F. Brunetière, Histoire de la littérature française classique (Premier fascicule). 1 vol. in-8 ; Delagrave.