— Je vous assure, répondit-il, que je ne lis pas plus l’Ami du Roi que Marat[1].
Puis, il ajouta curieusement :
— Vous êtes pour une République, vous, monsieur Pétion ?
Et Pétion, déjà courtisan, quoiqu’il ne respirât que depuis vingt heures « l’air empoisonné de la Cour, » répondit :
— Sire, je l’étais à la tribune ; ici, je sens que mon opinion change[2].
Marie-Antoinette paraissait prendre le plus vif intérêt à cette discussion : « elle l’excitait, l’animait, faisant des réflexions assez fines, assez méchantes[3]. » Comme elle cherchait à pressentir sur ces mêmes points Barnave, celui-ci, très réservé, se défendit de donner son avis, et détourna la tête.
— Dites donc, je vous prie, à M. Barnave, fit en riant la Reine à Pétion, qu’il ne regarde pas tant à la portière quand je lui pose une question[4].
Vers deux heures, à l’entrée de la Ferté-sous-Jouarre, où l’on dut ralentir à cause de la descente, une foule entassée attendait la berline dès qu’elle parut, ce fut une clameur : Vive la Nation ! Vive l’Assemblée ! Vive Pétion ! Ces cris, d’intention injurieuse, laissaient le Roi très indifférent ; la Reine et surtout Madame Elisabeth s’en montraient froissées, et les députés, confus, ne savaient comment se faire pardonner leur succès. Dans la rue du Limon, qui traverse la ville, grande affluence, point hostile, presque respectueuse. Le maire de la Ferté, Régnard de l’Isle, avait demandé par courrier que la famille royale consentît à s’arrêter chez lui, ce que le Roi avait accepté. La berline pénétra donc dans la dernière rue à droite, avant le pont, où s’ouvrait l’élégant portail de la maison Régnard de l’Isle. L’habitation, récemment construite, était vaste et confortable ; elle existe encore, un peu décrépite, mais toujours élégante, avec ses fines toitures d’ardoises moussues, ses hautes fenêtres à petites vitres de vieux verre, ses deux ailes à balcon de fer surplombant la Marne, entre lesquelles s’étend un jardinet en terrasse où s’ouvrent les portes du rez-de-chaussée et dont le parapet domine la rivière. Du côté de la rue, une cour, un peu triste, bien encombrée ce