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paroles se pressent, se croisent, sans ordre : il semble que c’est un thème d’avance concerté. Mais bientôt la conversation tomba ; Pétion, qui, pour la première fois, approchait la famille royale, observait, sans trop parler : la mise très simple des voyageurs le frappa ; il remarqua que leur linge était fort sale ; en levant les yeux, il aperçut dans le filet de la voiture un chapeau galonné, le chapeau de laquais qui avait servi au Roi dans son déguisement et qu’on avait négligé de faire disparaître.

L’intrusion des commissaires apportait dans la carrossée quelque embarras : la Reine restait boudeuse, bientôt elle laissa tomber son voile et ne dit plus mot[1]. Barnave, il faut l’avouer, avait maladroitement débuté ; imbu de la légende populaire que l’un des gardes du corps qui se trouvaient sur le siège était le comte de Fersen, ce gentilhomme suédois dont le dévouement à la Reine donnait si beau jeu aux médisances, il se permit un regard et un sourire malins, presque sardoniques. Marie-Antoinette se hâta de faire connaître, sans affectation, le nom des trois gardes, et Barnave se tut, subitement repentant. Pétion y mit plus d’insolence et de rudesse ; il dit qu’il savait tout, « que les fugitifs étaient montés près du château, dans une voiture de remise, menée par un Suédois, nommé... » il feignit de ne pas se rappeler le nom et le demanda à la Reine, qui répliqua, avec hauteur :

— Je ne suis pas dans l’usage de savoir le nom des cochers de remise.

Pourtant, ces premières escarmouches passées, une sorte de cordialité s’établit ; le Roi se montra simple et bon ; le visage de la Reine « s’éclaircit. »

« Elle[2] causait avec aisance et simplicité ; elle appelait Madame Elisabeth, « ma petite sœur, » et faisait sauter le Dauphin sur ses genoux. Madame Royale, plus réservée, jouait avec son frère ; le jeune prince était fort gai et surtout « très remuant ; » il échappait aux bras de sa mère et s’insinuait entre les genoux des deux commissaires, d’un air espiègle auquel s’ajoutait

  1. « L’arrivée de ces nouveaux compagnons de voyage mit d’abord du sérieux et de l’embarras dans le carrosse. La Reine, dans le premier moment, ne se souciait nullement de se lier avec eux ; elle prit même le masque de l’humeur, laissa tomber son voile sur son visage, et résolut de ne pas ouvrir la bouche, pendant toute la route, pour ne pas adresser la parole aux commissaires. » Relation de Fontanges, dans les Mémoires de Weber.
  2. Narration Fontanges.