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entrer à l’Ecole des Ponts et Chaussées, et, en 1760, il était nommé officier d’artillerie. Mais cet insociable, ce sauvage, était-il capable de mener la vie en commun, de s’entendre avec ses collègues ? Il fut destitué parce qu’il était irascible et insubordonné.

Il quitte alors la France, voyage, parcourt l’Europe avec l’idée de fonder une colonie modèle, séjourne en Hollande en qualité de journaliste, en Russie comme capitaine d’artillerie, en Pologne comme amoureux, en Autriche, en Allemagne ; s’embarque pour l’Ile de France avec une situation d’ingénieur qu’il ne peut conserver, à cause de son caractère qui rend tout rapport impossible avec l’ingénieur en chef et le commissaire de la marine ; et, en 1771, sans un sou dans sa poche, il revient dans son pays.

Mais ce vagabond, dont l’œuvre littéraire est en désaccord complet avec son caractère, était, heureusement pour nous, un sensitif, un sentimental. Il aimait la nature, la mer, la forêt, les couchers de soleil, mais surtout les femmes, auxquelles il dédia Paul et Virginie, en les appelant « les fleurs de la vie. « On ne sait s’il faut le compter au nombre des favoris de la grande Catherine, mais en Pologne, il eut une liaison, dont Aimé Martin a fait un véritable roman, avec la princesse Marie Miesnik, qu’il quitta, le 24 mai 1765, parce qu’elle ne voulait pas l’épouser. Aussi ce dédaigneux tout gonflé d’ambition refusa-t-il, — sans doute parce qu’elles étaient pour l’amant des reines et des princesses de trop petites demoiselles, — de répondre aux avances que lui firent à Saint-Pétersbourg, la nièce du général du Bosquet, à Amsterdam, la belle-sœur de Mustel le journaliste, à Berlin, la fille du conseiller Taubenheim.

Tandis qu’il songeait à son Voyage à l’Ile de France, et qu’il fréquentait chez les philosophes auxquels d’Alembert l’avait présenté, comme il vivait, sans le sou, des libéralités que lui faisaient ses amis, cet égoïste, qui n’avait jamais aimé que pour lui-même, s’avisa alors que dans un mariage riche il trouverait peut-être de quoi satisfaire ses goûts et son ambition. Il se mit alors à courir la dot. La sœur d’un de ses amis, Mlle Girault, et Mme Delaville-Jehannin, qui habitait Rennes, voulurent l’aider à se marier ; mais les jeunes provinciales étaient difficiles, le prétendant trop exigeant ; aussi ne trouva-t-il point la fiancée de ses rêves, et sa colère fut grande contre les Rennaises. Il parla