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matière, une sorte de dépravation politique, le goût des abstractions, des formules et des utopies menace d’éloigner une fois de plus de la réalité objective et des dures exigences qu’elle comporte les efforts les plus louables et les meilleures intentions.

Est-il besoin de rappeler dans quelle mesure, lorsqu’il s’est agi en 1889 de nous donner l’organisation militaire actuelle, un si redoutable problème s’est trouvé rapetissé à l’unique question de la durée du service militaire, pour mieux servir un dessein surtout politique, et procurer une meilleure affiche électorale ?

Ou bien nous étonnerons-nous que cette organisation militaire où nous poussaient la folie du nombre et l’attrait du mirage égalitaire, sans plus parler de ces misérables questions électorales (organisation dont l’origine compromettait nécessairement la valeur), puisse être, moins de quinze ans après, condamnée par son auteur même, et, de son propre aveu, tomber en ruines ?

On lui reproche aujourd’hui de s’être bornée à réduire à trois ans la durée du service ; on ajoute « qu’en dehors de cette diminution du temps de service, la question n’a pas fait un pas. Parmi les hommes valides, les uns sont instruits pendant trois ans, les autres, en proportion considérable, pendant dix mois seulement ; l’homogénéité de nos réserves est toujours en cause et ne peut être assurée. De plus, par l’octroi de la dispense conditionnelle entraînant le service réduit à dix mois en faveur de toute une catégorie de jeunes gens faisant partie de l’élite de la jeunesse intellectuelle, sans exiger d’eux en retour aucune obligation militaire, la loi tarit en grande partie la source du recrutement des sous-officiers pour le temps de paix, des sous-officiers et des officiers de réserve pour la mobilisation. »

On pourrait ajouter encore que la difficulté d’accorder l’égalité du temps de service avec les conditions variables de l’instruction militaire, et d’en concilier les exigences avec les obligations sociales ; que le peu de solidité des encadremens et surtout le chiffre faible des effectifs du temps de paix, destinés fatalement à être noyés dans la foule des réservistes, au moment même où la cohésion d’une troupe sera le gage principal de sa solidité, et par conséquent de la victoire ; enfin, la lourdeur des masses que mobilise le système actuellement en vigueur, ont permis de concevoir une armée plus forte, au contingent mieux réparti, aux cadres plus solides, au temps de service moins long.