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IX

Depuis plusieurs mois cette affaire était agitée dans les journaux prussiens, sans trop de colère cependant. À ce moment elle s’alluma avec une fureur inattendue. Le Vénérable de la loge maçonnique de Luxembourg, instruit par des confidences officielles des pourparlers mystérieux, en avait informé les loges allemandes, d’où la nouvelle avait sauté dans les journaux, puis dans les places publiques ; et tout à coup se produisit un tourbillon de colère patriotique. Les députés s’agitaient ; le Roi était mécontent ; Bismarck ne voulut pas ou ne crut pas avoir la force de s’opposer en face au courant. Il charge Göltz de se rendre auprès de Moustier, de le prier d’ajourner la conclusion de l’affaire jusqu’à ce que le Reichstag ne fût plus en séance. Il fait la même instance auprès de Benedetti, et il convient avec son ami Bennigsen, le chef des nationaux libéraux, d’une interpellation qui lui fournira le moyen de calmer l’excitation publique. Moustier se révolte : « Ajourner ? c’est impossible. La question est vidée ; le roi de Hollande a envoyé son consentement par écrit ; la crainte même de la guerre ne nous ferait pas rompre d’une semelle. — Ajourner ! s’écrie Benedetti de son côté, au point où en sont les choses il est plus facile au gouvernement du Roi d’accepter la réunion du Luxembourg à la France qu’au gouvernement de l’Empereur d’y renoncer ! » Et l’ordre est expédié à Baudin de signer les deux traités. On va le faire le 1er avril. Mais Tornaco, le président du gouvernement luxembourgeois, appelé par une simple lettre mise à la poste, n’arrive pas à temps. On remet la signature au lendemain. Le lendemain, l’interpellation au Reichstag culbutait définitivement toute la combinaison ourdie à si grand’peine.

Le 1er avril, à dix heures du matin, Benedetti, averti que le traité allait se signer ce jour-là, s’était rendu chez Bismarck lui en porter la nouvelle : « J’ai une communication à vous faire. » Bismarck l’interrompt : « Je n’ai pas le temps d’une discussion d’affaires, je vais au Reichstag répondre à l’interpellation que voici. » Il lui en communique le texte et ajoute : « Voulez-vous m’accompagner ? nous causerons en chemin. » En marchant il résume la réponse qu’il va faire : il reconnaîtra que le gouvernement était informé des pourparlers avec La Haye, mais que,