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centuplé : l’île est devenue trop étroite pour ses habitans. En même temps que le progrès matériel, est venu le progrès moral. Terre-Neuve a eu un gouvernement à peu près autonome, avec un parlement légitimement soucieux et jaloux des intérêts du pays ; et alors les difficultés ont commencé. Elles ont été sans cesse en augmentant. L’Angleterre a pu craindre sérieusement que Terre-Neuve ne se détachât d’elle pour se donner au Canada ou aux États-Unis, si elle n’obtenait pas satisfaction. Depuis quelque temps, on avait établi un modus vivendi qui devait être renouvelé tous les ans et qui l’était en effet par le parlement de Terre-Neuve, mais, chaque fois, avec une résistance plus grande. On sentait que la corde trop tendue finirait inévitablement par se rompre : il était temps d’aviser.

Ce qui rendait nos droits encore plus intolérables, c’est que, en fait, nous avions presque cessé de les exercer dans la partie qui nous était utile, tout en les maintenant dans celle qui était onéreuse aux Terre-Neuviens. Le poisson, c’est-à-dire la morue que nous pêchions autrefois dans les eaux du french shore, les avait désertées pour un motif inconnu, et nous allions pêcher en pleine mer, sur ce qu’on appelle le Grand-Banc. Toutefois, comme la morue pouvait revenir dans les eaux du french shore par un de ces déplacemens dont la loi est restée mystérieuse, nous maintenions à l’encontre des colons toutes les servitudes dont leur territoire était frappé. Naturellement, ils cherchaient à y échapper ; ils construisaient sur le french shore ; parfois même ils nous demandaient et nous leur donnions l’autorisation de le faire ; mais c’étaient des difficultés sans cesse renouvelées. Si nous leur en faisions, ils nous en faisaient aussi. Faute de morues, nous nous étions mis à pêcher des homards. Ils ont inventé alors contre nous que le homard n’était pas un poisson, mais un crustacé, et que nous ne le pêchions pas, mais que nous le captions, toutes choses qui n’étaient pas prévues par le traité d’Utrecht. Ce qui était plus sérieux, c’est le reproche qu’il s’nous adressaient de construire sur le rivage, pour le séchage et la préparation du homard, des établissemens permanens. Enfin, ce qui était plus grave, c’est qu’ils refusaient de vendre à nos pêcheurs la boëtte, c’est-à-dire l’appât indispensable à leur industrie. Le parlement avait voté un bill à cet effet. On le voit, entre Terre-Neuve et nous, si ce n’était pas l’état de guerre, c’était celui de vexations continuelles. Il fallait en finir.

A plusieurs reprises, il en avait été question, mais toujours sans succès. A l’indemnité pécuniaire que l’Angleterre se montrait disposée à donner à nos pêcheurs, nous lui demandions d’ajouter au profit de