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pour la défense du pontife qui fut leur frère, des argumens qui semblent péremptoires. Ce n’est pas ici le lieu de les rappeler. Suivons plutôt, en un pareil sujet, le conseil de Dante :


Lasciamolo stare e non parliamo a voto.


Sur d’autres points : détails d’interprétation et d’exécution, problèmes de paléographie, nuances de notation ou de rythme, certaines dissidences, qui séparaient les érudits, ont paru s’atténuer. L’unanimité n’a pas été loin de s’établir et, comme le remarquait avec esprit le président du Congrès, Mgr Duchesne, pas une fois, au cours des discussions sur la mélodie grégorienne, l’harmonie ne fut troublée entre les grégoriens.

Et puis, et surtout, dans une assemblée aussi nombreuse, aussi diverse, chacun a loué dignement celui que chacun, artiste ou théologien, professeur ou moine, peut réclamer comme sien. L’encyclique Jucunda sane, publiée quelques jours avant les cérémonies commémoratives, nous a donné de saint Grégoire un portrait vigoureux et délicat. Pas un trait de cette complexe figure n’y était omis. On y reconnaissait à chaque page le grand homme d’État et le pontife saint, le docteur et le défenseur de l’Église, l’apôtre infatigable et le diplomate consommé. On sait, — saint Grégoire l’a rappelé lui-même, — ce qu’était Rome à l’époque de son avènement : « Un vieux navire à demi réduit en pièces, qui faisait eau de toutes parts et dont chaque jour, sous l’assaut de la tempête, les planches pourries annonçaient en gémissant le naufrage. » Cette nef en péril, saint Grégoire ne l’a pas remise à flot pour un moment, pour un siècle, mais pour toujours. Il a sauvé Rome, et l’Italie avec elle, de calamités sans nombre : de l’inondation, de la famine, de la peste, de l’invasion des Barbares ; tantôt de la tyrannie des empereurs de Byzance, tantôt de leur négligence et de leur mépris. Avec la même ardeur et le même succès, il défendit la foi contre les hérétiques, et, contre l’usurpation des patriarches de Constantinople, il soutint la primauté du siège de Pierre.

Son œuvre s’étend encore plus loin. L’ancienne humanité s’écroulait : plutôt que d’essayer, — vainement, — d’en retarder la ruine, il regarde vers l’humanité nouvelle et résout d’en assurer l’avenir. Il capte pour ainsi dire les forces ennemies et les fait servir à ses prodigieux desseins. Par lui, l’Angleterre commence d’être chrétienne et l’Espagne achève de le devenir. Il noue avec le jeune royaume des