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indéfini de la visite de Nicolas II. Ni le « rapprochement » avec la France, ni les mécomptes financiers qui ont été la conséquence de l’agression japonaise et qui retardent la « conversion » du 4 et demi pour 100, n’ont pu empêcher la première explosion du sentiment populaire d’être « japonophile. » Mais le pays qui a produit Machiavel et Cavour est trop accoutumé à faire sortir de toutes les fluctuations de la politique les avantages qu’elles peuvent lui offrir, pour ne pas se plier opportunément aux circonstances ; à mesure qu’à l’enthousiasme provoqué par la surprise du 8 février, a succédé une appréciation plus froide des chances de succès des deux adversaires, et surtout à mesure que s’est exercée sur la presse l’action du pouvoir central, un revirement s’est produit dans les journaux et dans l’opinion. De manifestations sympathiques au Japon, l’Italie n’a aucun avantage à attendre ; en faisant montre, au contraire, de sentimens russophiles, elle reste d’accord avec son fidèle allié l’empereur allemand, et elle ne risque pas de froisser les sentimens de sa nouvelle amie, la République française. Si la Russie remporte une victoire complète, elle n’aura pas, finalement, d’admirateur plus ardent que le peuple italien.

Les pays neutres, comme la Suisse et la Belgique, moins directement intéressés dans le conflit, ont été en général favorables au Japon dans la mesure où ils sont travaillés par les forces internationales et révolutionnaires. En majorité protestante, « libérale, » volontiers socialiste, admiratrice, parfois jusqu’à la naïveté, même et surtout dans les pays de langue française, de la « culture germanique, » asile des réfugiés politiques de tous les pays et spécialement des « oiseaux de passage » venus de Russie, cosmopolite par tradition et par nécessité, la Suisse fait des vœux secrets pour le Japon ; mais sa presse, prudente et soucieuse de ne mécontenter aucun des hôtes qui font la fortune de son industrie nationale, celle des hôtelleries, préoccupée aussi, par un sentiment plus élevé, de respecter cette neutralité qui est pour la Suisse une vocation et une obligation, n’a laissé que rarement transparaître ces tendances. — En Belgique, les socialistes et les doctrinaires imbus du « libéralisme » anglais se sont montrés généralement antipathiques à la Russie ; dans le Peuple, M. le sénateur Edmond Picard a fait scandale parmi ses coreligionnaires politiques, en montrant, avec son indépendance coutumière, les raisons solides qui feraient du