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où le comte de Bulow a parlé des amitiés « ataviques » de l’Allemagne et de la Russie, ont par eux-mêmes une signification assez claire pour être entendue. L’Allemand tient à user de bons procédés envers son voisin russe : le moment où la « double alliance, » qui inquiète l’opinion germanique, va subir l’épreuve des événemens, où, en France, un parti, dont les chefs ont prouvé maintes fois leur influence dans les conseils du gouvernement, affiche l’intention de « détendre » l’alliance, peut sembler favorable à l’Allemand pour renouer aux dépens de notre pays l’intimité des deux empires. Si la Russie l’emporte, l’Allemagne tient à être avec elle dans le tournoi diplomatique final ; s’il advenait qu’elle soit vaincue en Extrême-Orient, elle garderait une particulière gratitude à ceux qui, sans être ses alliés, auraient su, au moment critique, se montrer ses amis. Ainsi s’expliquent un langage et des procédés qui déplaisent fort au cosmopolitisme révolutionnaire et qui sont qualifiés, dans l’Européen, de « politique demi-russe, bien étrangère et même opposée à nos idées occidentales. » — Avec discipline, comme dans un bataillon bien commandé, les journaux et l’opinion publique ont suivi le mot d’ordre donné par le gouvernement ; à l’intérêt germanique, ils ont sacrifié, sans hésiter, les antipathies foncières qui les éloignent naturellement des Russes. Une telle attitude, dans un tel moment, dénote chez un peuple plus que de la docilité, un véritable esprit politique.

Le premier mouvement de la presse et de l’opinion publique en Italie a été favorable aux Japonais, et l’on pourrait peut-être s’en étonner en songeant que l’Italie n’a aucun intérêt en Extrême-Orient et que ses relations avec l’empire du Soleil-Levant n’ont été marquées que par une insigne malveillance du gouvernement du Mikado au moment où les Italiens manifestèrent des velléités d’occuper la baie de San-Moun. Mais, dans ce peuple intelligent, artiste, assimilateur, qui a su s’élever en quelques années au rang de puissance avec qui l’on compte, peut-être l’Italien croit-il reconnaître quelques-unes des qualités, et aussi quelques-uns des défauts qui l’ont aidé lui-même à pousser sa fortune. De ses longues luttes contre la maison d’Autriche, l’italien, volontiers « libéral » et même révolutionnaire, a gardé contre l’autocratie, dont la Russie lui paraît présenter le type le plus odieux, une défiance instinctive qui s’est accrue de toute la déception qu’a causée dans la péninsule l’ajournement