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la grande place de l’Hôtel-de-Ville ; à cette imposante manifestation tchèque répondit, comme c’est la coutume, une violente contre-manifestation germanique : les étudians Allemands, unis aux socialistes, sifflèrent les cris et les chants des Tchèques ; plusieurs jours durant, les troubles continuèrent, les Allemands, protégés par la police et la troupe, acclamant la Grande Allemagne, les Tchèques huant les emblèmes allemands et acclamant la Russie. L’agitation de la Bohême eut son contre-coup dans d’autres villes de l’Empire, à Linz, à Vienne notamment, où les Allemands manifestèrent brutalement leur antipathie pour la « race inférieure. »

Les Slaves du Sud, Croates, Slovènes, Bosniaques, et ceux des Balkans, se sont souvenus de leur parenté ethnique et ont, en général, fait montre de sentimens « russophiles ; » les journaux nous ont appris que le tsar, sans doute dans le dessein d’affirmer la solidarité slave, avait accepté 500 volontaires bulgares et 500 Serbes. Cependant il est curieux de noter certaines dissidences : les partis extrêmes, ceux qui espèrent obtenir par une agitation révolutionnaire et de sanglantes insurrections l’indépendance de la Macédoine et la libération définitive de tous les peuples balkaniques, ont vu sans regret les Japonais opérer sur les derrières de la Russie d’Europe une puissante diversion qui éloignera ses forces du Danube et l’empêchera de peser de toute son influence pour comprimer les ambitions impatientes et retarder l’échéance du suprême conflit. Que les armées du tsar soient vaincues et sa puissance affaiblie, c’est peut-être même le vœu que forment, sans presque oser se l’avouer à eux-mêmes, ceux des Slaves du Danube qui redoutent déjà, pour l’avenir de leurs nationalités, une protection trop puissante. Le Balkan farà da se, c’est une devise que certains partis, dans la péninsule, adopteraient volontiers, sans d’ailleurs être plus assurés que les Italiens d’autrefois de la pouvoir réaliser.

Séparés des autres membres de la famille slave par des traditions religieuses et nationales et des souvenirs sanglans, les Polonais auraient, naguère encore, cherché unanimement tous les moyens de prouver leurs rancunes vivaces contre la Russie ; mais les persécutions dont ils ont été l’objet en Posnanie, les incidens de Wreschen et de Gnesen leur ont montré dans l’Allemand un ennemi plus dangereux pour la persistance du sentiment