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le plaisir très facile, et quelque peu injuste, de railler des espérances si cruellement démenties ; mais il est nécessaire de constater que les tendances « pacifistes » étaient réellement l’un des traits caractéristiques de la vie politique de l’Europe en ces derniers mois. Le mouvement était presque général : il venait d’en haut, des souverains et des gouvernemens, et il venait aussi d’en bas, des peuples et des partis politiques. Le tsar Nicolas II, le premier, avait donné l’exemple en provoquant la réunion de la conférence de La Haye. Les rois suivaient à l’envi son exemple et multipliaient les visites courtoises et les déclarations pacifiques ; la Triplice et la Duplice n’étaient plus et même, disait-on, n’avaient jamais été que des combinaisons destinées à garantir la paix ; en tous cas, un réseau d’accords nouveaux, d’« ententes » et de « rapprochemens, » tendait à prévenir toute cause de conflits. Les cabinets échangeaient des « traités d’arbitrage ; » les parlementaires des divers pays se rendaient des visites et préludaient par des discours au règne de la fraternité des peuples et de l’arbitrage obligatoire. Le mouvement était si général que l’on ne voyait plus les symptômes contraires : l’âpreté des rivalités économiques, l’incoercible persistance des haines nationales, et l’accroissement ininterrompu des budgets de la guerre et de la marine. En même temps qu’il obtenait le haut patronage des princes, le mouvement « pacifiste » plongeait ses racines jusque dans l’instinct populaire, dans cet instinct primordial de conservation personnelle qui, dans tous les pays où le service militaire est obligatoire et universel, fait apparaître la guerre, non seulement comme une catastrophe toujours redoutable lorsqu’elle s’abat sur la patrie, mais encore comme un malheur prêt à fondre sur le foyer de chaque citoyen, sur sa famille et sur lui-même. À ces sentimens plus ou moins consciens, certains partis politiques se chargèrent de donner un corps, et d’apporter, aux timidités instinctives des hommes, l’excuse d’une théorie philosophique et le prétexte d’une œuvre humanitaire.

Eclatant ainsi brusquement, dans un temps d’aspirations générales vers la paix, la première nouvelle du conflit russo-japonais a produit dans le monde une profonde sensation ; elle a scandalisé les « pacifistes » comme un démenti à leurs espérances ; elle a, du jour au lendemain, bouleversé tout le jeu de la politique ; l’attention des peuples s’est tournée avec passion vers le duel dont ils comprennent la décisive importance pour